Un an après le début d'un procès hautement technique, les anciens dirigeants de Nortel, accusés de fraude, sauront aujourd'hui s'ils prennent ou pas le chemin de la prison.

Frank Dunn, ex-PDG, Doug Beatty, ex-chef des finances et Michael Gollogly, ex-contrôleur, font face à des peines de 10 ans d'emprisonnement s'ils sont reconnus coupables. Le juge Frank Marrocco, de la Cour supérieure de l'Ontario, doit lire son jugement à 10 h ce matin au palais de justice de Toronto.

Les trois hommes sont accusés par la Couronne d'avoir tripoté les livres comptables de façon éhontée en 2002 et 2003, alors que Nortel peinait à revenir à la rentabilité. Ils auraient constitué une véritable «jarre à biscuits» de plusieurs centaines de millions de dollars, dans laquelle ils puisaient pour manipuler les résultats d'un trimestre à l'autre - et ainsi obtenir de juteux bonis.

«C'est une fraude contre le public, c'est l'essence de la poursuite contre les accusés», a fait valoir le procureur de la Couronne, Robert Hubbard, pendant ses arguments de clôture en septembre dernier.

Les faits reprochés aux ex-dirigeants se seraient surtout produits de janvier 2002 à juin 2003. À l'époque, la firme de télécommunications se remettait péniblement de l'éclatement de la bulle techno, et elle s'était dotée d'un programme ambitieux de retour à la rentabilité assorti de primes pour l'équipe de direction.

Selon la poursuite, les trois accusés ont transféré diverses provisions et imputations de la fameuse «jarre à biscuits», pour transformer un profit de 12 millions en une perte de 88 millions au troisième trimestre de 2002. Ils auraient ensuite libéré pour 80 millions de provisions au premier trimestre de 2003, ce qui leur a permis d'obtenir des bonis de 12,8 millions.

Ce retour soudain à la rentabilité a donné un électrochoc au titre de Nortel en Bourse, et il a éveillé les soupçons de la SEC, le chien de garde des marchés américains. Dès 2004, Nortel a dû réviser ses résultats financiers, et MM. Dunn, Beatty et Gollogly ont été congédiés la même année. Ils ont été accusés de fraude beaucoup plus tard par la GRC, en 2008.

Les accusés nient

Les avocats des ex-dirigeants ont nié les accusations de fraude tout au long de ce procès, qui a vu défiler des dizaines de témoins et une quantité impressionnante de documents internes. Pendant sa plaidoirie finale, David Porter, l'avocat principal des trois accusés, s'est attelé à démonter en bloc l'abondante preuve présentée par la Couronne.

«Loin de prouver les fautes au-delà de tout doute raisonnable, la preuve dans cette cause appuie une seule conclusion, soit un verdict d'innocence pour MM. Dunn, Beatty et Gollogly» a avancé Me Porter.

La défense fait valoir que les arguments de la Couronne sont «faibles» et relèvent d'une véritable «théorie du complot». Les trois ex-dirigeants ont préparé les états financiers du groupe en toute bonne foi, a en outre insisté Me Porter dans sa plaidoirie finale, qui s'étend sur 93 pages. «Il n'y a pas eu de malhonnêteté (...) en particulier de la part des accusés.»

Une capitalisation de 400 milliards

Nortel affichait une capitalisation boursière de plus de 400 milliards à son apogée en 2000, ce qui représentait alors le tiers de l'indice TSX de Toronto. Le groupe s'est placé à l'abri de ses créanciers au début 2009 après un long déclin, et il a complété en 2011 la vente de ses derniers actifs. Apple et RIM ont notamment acquis une série de brevets pour 4,5 milliards.

Qu'importe le verdict qui sera rendu aujourd'hui à Toronto, la bataille avec les créanciers de Nortel se poursuivra. Plusieurs fournisseurs et environ 20 000 retraités cherchent tous à obtenir leur juste part du gâteau des milliards générés par la vente des actifs du groupe.

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Notre journaliste assiste aujourd'hui au verdict des ex-dirigeants de Nortel. À suivre sur le web et dans les pages de La Presse Affaires.

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EN CHIFFRES 

12,8 MILLIONS


Total des primes que les trois ex-dirigeants de Nortel auraient empoché illégalement, selon la poursuite.

200 MILLIONS

Montant approximatif des différentes provisions qui auraient été inscrites ou soustraites de la « jarre à biscuits » en vue de manipuler les résultats financi

10 ans

Peine de prison à laquelle s'exposent les anciens patrons de Nortel.

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TROIS DATES

JANVIER 2002

Début des fraudes comptables commises par les trois ex-dirigeants de Nortel, selon la poursuite.

AVRIL 2004

Le conseil de Nortel congédie Frank Dunn, Douglas Beatty et Michael Gollogly pour ces malversations alléguées.

JUIN 2008

La GRC intente des poursuites criminelles contre les trois ex-dirigeants pour fraude à grande échelle.