Lucille a 78 ans et souffre de la maladie d'Alzheimer. Ses enfants s'intéressent de plus en plus à ses affaires financières, et cherchent des conseils.

«Ma mère a été choquée au décès de sa propre mère, il y a quelques années, de voir que l'héritage était réduit de moitié par la facture d'impôt», explique Marie, sa fille. «Depuis, elle est préoccupée par l'impôt que la succession paiera à son décès, et elle se demande si elle peut réduire la facture en payant l'impôt maintenant. C'est rare qu'on veuille payer d'avance, mais serait-ce avantageux?»

Retraits obligatoires du FERR

Au décès de Lucille, c'est sur le montant qui restera dans son FERR (fonds enregistré de revenu de retraite) que la succession paiera de l'impôt. Un FERR, c'est la suite du REER: lorsque l'épargnant atteint 71 ans, il doit y transférer les sommes accumulées. Ensuite, il doit faire des retraits annuels, dont le montant est calculé selon l'âge et le solde du fonds.

Lucille a de bonnes rentes de retraite: la Régie des rentes du Québec (RRQ), la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV) et le régime de retraite de son défunt mari lui procurent plus de 32 000$ par année et suffisent à payer ses dépenses. «On l'incite à se gâter, mais elle est très économe, raconte Marie. Depuis qu'elle est malade, elle ne voyage plus et sort peu.»

Un seuil à ne pas dépasser

Même si elle n'en a pas besoin, la retraitée est obligée de retirer de l'argent de son FERR (24 200$ en 2011, par exemple). Ces sommes s'ajoutent à son revenu imposable; elle les investit dans divers placements. La question de ses futurs héritiers: devrait-elle retirer plus et payer l'impôt maintenant pour qu'il en reste moins à son décès dans son FERR?

Il est possible de retirer du FERR un peu plus que le minimum requis pour réaliser quelques économies d'impôt, répond le planificateur financier Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et conseil, à la Banque Nationale. Mais l'important, c'est surtout que Lucille éviter de dépasser le seuil au-delà duquel elle commencera à perdre des avantages, comme la PSV, insiste M. Laverdière. «En 2013, elle devra retirer 20 830$ du FERR, ce qui donnera un revenu total de 53 460$, illustre l'expert. Si son revenu atteignait 70 953$, elle devrait commencer à rembourser la PSV. Pour chaque 1000$ dépassant ce seuil, elle devrait retourner 150$ en PSV.» Lucille peut donc retirer un maximum de 38 300$ de son FERR, soit 17 490$ de plus que le minimum obligatoire, pour éviter d'être pénalisée.

Pour calculer le revenu à ne pas dépasser, Daniel Laverdière s'est basé sur le taux effectif marginal d'imposition (TEMI) pour 2013 d'un célibataire retraité de plus de 65 ans, qui tient compte non seulement de l'impôt à payer, mais aussi des crédits d'impôt et autres programmes gouvernementaux, qui diminuent lorsque le revenu augmente. Au-dessous de 70 953$, le TEMI de Lucille est de 43%. Au-delà de ce revenu, comme la retraitée perd la PSV, son TEMI grimpe à 50,2%, et atteint même 56,4% à 100 000$. En comparaison, si Lucille décédait aujourd'hui, le solde de 250 000$ de son FERR serait frappé d'un taux d'imposition moyen de 51%.

Pour illustrer l'économie d'impôt à réaliser, le planificateur financier fait une simulation en supposant que Lucille retire 10 000$ de plus que le minimum requis. Le TEMI sur cette somme serait de 43%; donc, après impôt, il lui resterait 5700$. Si cette somme rapporte 2,5% d'intérêts (on suppose que Lucille a un profil prudent), en tenant compte de l'impôt à payer sur le rendement, ce montant vaudra 6566$ dans 10 ans. Par contre, si ce 10 000$ est laissé dans le FERR et que Lucille meurt dans 10 ans, avec un rendement de 2,5% à l'abri de l'impôt, la somme vaudrait alors 12 800$. Le TEMI de 51% s'appliquerait sur cette somme, et il resterait 6272$ à la succession, soit 294$ de moins que si les 10 000$ avaient été retirés 10 ans plus tôt. Plus le décès survient rapidement, plus il est avantageux de retirer des sommes du FERR maintenant. Par contre, si les rendements sont meilleurs, il peut devenir plus rentable de laisser l'argent dans le FERR.

Attention: Lucille doit aussi tenir compte dans son revenu du rendement des placements réalisés avec les sommes retirées de son FERR, qui ne sont plus à l'abri de l'impôt. Elle peut placer seulement 5500$ par année dans un CELI - Ottawa a annoncé une hausse du plafond de cotisation de 500$ la semaine dernière - dont le rendement ne sera pas imposable.

Daniel Laverdière rencontre parfois des clients qui, comme les enfants de Lucille, s'inquiètent de l'impôt à payer au moment d'une succession. «Les impôts à payer sur les REER sont inévitables, souligne-t-il, mais on a tendance à oublier l'efficacité fiscale dont on a bénéficié avant, incluant la déduction initiale et tout le report de rendement.»

LA QUESTION

«Est-ce que ma mère, Lucille, devrait retirer des montants plus importants de son FERR, et payer de l'impôt maintenant, pour réduire la facture fiscale que devra payer la succession au moment de son décès ?»

-Marie, fille de Lucille

LES DONNÉES

Lucille, 78 ans

Revenu de retraite prévu en 2013:

RRQ : 8160$

PSV : 6550$

RPA : 17 920$

FERR, retrait minimum obligatoire : 20 830$

Total : 53 460$

Actif, fin 2012

Condo : 250 000$

FERR : 250 000$

Placements non-enregistrés : 126 670$

CELI : 23 600$

Aucune dette

LA RECOMMANDATION

«Lucille peut retirer de son FERR un peu plus que minimum obligatoire, mais elle doit éviter de dépasser le montant au-delà duquel elle perdra des avantages, comme la PSV.»

DANIEL LAVERDIÈRE, planificateur financier, directeur principal, Planification financière et conseil, Banque Nationale Gestion privée 1859