Le président de la Régie du logement, Me Luc Harvey, tient occupés les membres du Conseil de la justice administrative, instance qui examine les plaintes déontologiques à l'égard des juges administratifs. M. Harvey a été visé par quatre enquêtes, soit près du quart des 18 enquêtes menées par le Conseil à l'endroit du personnel du tribunal sur le logement depuis 1998.

Actuellement, le président fait l'objet d'une enquête à la demande du ministre responsable de la Régie à propos d'un manquement invoqué concernant l'aspect administratif de son mandat de président. C'est la première fois qu'un président de tribunal administratif est visé par une enquête du Conseil de la justice administrative (CJA).

La Régie du logement a d'ailleurs confirmé que Me Harvey a obtenu une dérogation pour que son avocat ait droit à des honoraires plus élevés que ceux prévus habituellement pour la défense des juges administratifs devant le Conseil. Le montant est protégé par le secret professionnel, dit-on à la Régie.

Avant d'être nommé président de la Régie par le gouvernement de Jean Charest le 7 janvier 2008, Me Luc Harvey avait été visé par trois enquêtes en déontologie. Les trois fois, le comité d'enquête a rejeté la plainte, bien que deux rapports d'enquête aient souligné un comportement inadéquat en audience.

Une réprimande en 15 ans

Le fait d'être blanchi par un comité d'enquête n'est pas exceptionnel. En près de 15 ans, le Conseil a réprimandé un juge administratif une seule fois. Une enquête est instituée seulement quand la plainte est jugée recevable par le Conseil. Depuis sa création en 1998, 612 plaintes ont été déposées au Conseil. Seulement 35 ont mené à la formation d'un comité d'enquête.

Le CJA a compétence sur 300 juges administratifs de 4 tribunaux, dont les 34 régisseurs et 6 greffiers spéciaux de la Régie du logement.

Le personnel de la Régie a fait l'objet de 18 enquêtes depuis 1998. L'enquête en cours au sujet de Me Harvey fait suite à un rapport du Protecteur du citoyen le rendant responsable d'un tripotage de la mise au rôle des causes devant la Régie. La manoeuvre avait pour but d'abaisser le délai moyen d'attente avant la tenue d'une première audience. L'initiative va à l'encontre de l'équité et de bonnes pratiques, lui reproche le Protecteur du citoyen.

Instituée le 27 septembre 2011, l'enquête est suspendue depuis juin 2012 à la suite de procédures juridiques déposées par Me Harvey. Le dossier est en attente d'une audience à la Cour supérieure. Le Procureur général est intervenu dans le dossier.

La loi stipule qu'un employé de la Régie, la régisseuse Suzie Ducheine dans ce cas-ci, siège au comité de trois personnes chargé des enquêtes administratives. Mais Mme Ducheine est une employée de Me Harvey, ce qui suscite des questions au sujet de l'indépendance judiciaire du comité. Mes Ducheine et Harvey se connaissent bien puisqu'ils siègent ensemble au Conseil de la justice administrative depuis 2008. Celui-ci est formé de 17 personnes. La Régie du logement y délègue d'office 2 personnes, dont son président.

«Je ne dis pas que ça pose problème ou non. Le Conseil a suivi la loi telle qu'elle est écrite», explique au téléphone Me Nathalie Lachance, adjointe au président du CJA. Le Conseil a choisi de ne pas se prévaloir de la possibilité de demander la suspension de Me Harvey de ses fonctions de président de la Régie du logement.

Le mois dernier, M. Harvey a aussi recommencé à assister aux réunions du Conseil, pendant la suspension de son enquête. Il y a côtoyé les trois membres de son comité d'enquête. «Il s'est toutefois abstenu de participer aux délibérations des points à l'ordre du jour touchant de près ou de loin à son dossier d'enquête», précise Mme Lachance.

Avant d'être président de la Régie, Me Harvey a été régisseur de 1990 à 2008. De 1982 à 1984, il a été adjoint spécial au cabinet du ministre libéral André Ouellet, au fédéral.