C'est presque un secret industriel. Mais la filiale canadienne de Pfizer, la plus grande société pharmaceutique du monde, est un incubateur pour les dirigeants de cette multinationale à l'international.

Quatre gestionnaires canadiens, dont trois du Québec, poursuivent cette tradition qui ne date pas d'hier. Outre Paul Lévesque, l'ancien président de Pfizer Canada, qui vient d'être promu au siège social de New York, plusieurs hauts dirigeants sont issus de cette filiale de Kirkland.

En poste à Dubaï, Guy Lallemand chapeaute les activités de Pfizer au Proche-Orient et en Afrique. Pierre Gaudreault a été envoyé comme «pompier» en Grèce. Quant à la Torontoise Theresa Firestone, elle veille sur les pays les plus chauds de l'Asie depuis son bureau de Shanghai.

L'industrie pharmaceutique ne connaît pas ses meilleures heures, avec l'expiration des brevets sur ses meilleurs vendeurs comme le Lipitor, qui sert à contrôler le cholestérol dans le sang. Il est de plus en plus difficile et coûteux de trouver des médicaments pour remplacer ces blockbusters, de sorte que le pipeline de nouveaux médicaments s'assèche.

De plus, plusieurs gouvernements, aux prises avec des déficits incontrôlés, font pression sur les sociétés pharmaceutiques pour qu'elles réduisent le prix de leurs médicaments.

Mais ces dirigeants ont aussi à composer avec des difficultés additionnelles. Des infrastructures de transport déficientes. Une météo qui dérape, comme en Thaïlande, où les inondations ont presque paralysé le pays. Le Printemps arabe et autre révolution politique imprévue.

Voici quatre portraits de Canadiens aux quatre coins du monde.

PAUL LÉVESQUE

Chef du marketing pour les soins primaires aux États-Unis

Parcours: Depuis janvier, cet ancien président de Pfizer Canada s'est établi au siège social de New York, où il pilote les grandes initiatives marketing aux États-Unis, le premier marché du médicament du monde.

Paul Lévesque a 27 années d'expérience dans l'industrie, dont 20 avec Pfizer au Canada et en France, où il a été vice-président marketing de 2002 à 2005. Originaire de Québec, ce gestionnaire de 48 ans détient un baccalauréat en biochimie de l'Université Laval et un diplôme en gestion de McGill.

Mandat: Établir les cibles de ventes pour les médicaments prescrits par les médecins généralistes et déployer les ressources en conséquence.

Pour y arriver, Paul Lévesque et son équipe doivent notamment convaincre les payeurs publics et privés que les nouveaux médicaments valent leur prix élevé. C'est un défi dans un pays où les médicaments génériques sont peu coûteux.

De plus, c'est un processus nettement plus long qu'au Canada. Il faut négocier le remboursement des médicaments avec plus de 300 régimes d'assurance privés (health maintenance organizations ou HMO).

«Ici, on fait affaire avec 10 provinces, dit Paul Lévesque. Là, c'est la complexité du Canada au carré.»

Certains médicaments sont presque remboursés en totalité par les HMO. D'autres, assez peu. Ainsi, c'est le patient qui est forcé de combler la différence. Enfin, certains médicaments ne sont remboursés qu'après une approbation au cas par cas, à la suite d'une requête d'un patient et de son médecin.

«Plus c'est complexe, moins le médecin voudra prescrire un médicament», dit Paul Lévesque. D'où l'intérêt de faire inscrire un médicament dans la liste des médicaments les plus remboursés.

Ce avec quoi il doit composer: On a confié à Paul Lévesque une responsabilité rarement réservée aux étrangers. Tous les trois mois, il doit se porter garant des méthodes de mise en marché des plus de 4000 représentants de Pfizer aux États-Unis auprès du ministère de la Justice. «Ce n'est pas rien», dit-il.

Cette réglementation fait suite aux enquêtes sur les ventes de médicaments pour des fins autres que les indications pour lesquelles ils avaient été approuvés. Plusieurs pharmaceutiques étaient visées. Pfizer a dû payer un dédommagement de 2,3 milliards US en 2009 pour régler la poursuite intentée par le procureur du Massachusetts au sujet de l'analgésique Bextra, maintenant retiré du marché.

Gestion serrée des échantillons, vérification des présentations faites par les représentants sur leur tablette électronique, interdiction d'offrir des billets de baseball à un médecin, etc. «C'est balisé à un point que vous ne pouvez pas imaginer. Si le message que les représentants véhiculent n'est pas le bon, ils vont se faire taper sur les doigts», dit Paul Lévesque.

Ce dont il s'ennuie: De son bureau bruyant de Manhattan, il s'ennuie de la quiétude et de la qualité de vie de Montréal.

Photo fournie par Pfizer

PIERRE GAUDREAULT

Président-directeur général de Pfizer en Grèce

Parcours: Pfizer a dépêché ce «pompier» en Grèce l'été dernier, au plus fort de la crise des finances publiques. Voilà six ans que ce dirigeant de 47 ans bourlingue en Europe.

Auparavant, soit de 2008 à 2011, Pierre Gaudreault était directeur général du Portugal. En 2009, Pfizer lui a confié les pays d'Europe du Nord comme responsabilités additionnelles. De 2006 à 2008, il travaillait au Royaume-Uni. Ce diplômé de l'Université Laval en biologie est originaire de Montmagny.



Terrain de jeu: Avec 600 employés, incluant les représentants sur la route, la Grèce est l'une des plus petites divisions de Pfizer. Son chiffre d'affaires oscille autour de 600 millions de dollars.

Mandat: Gérer la décroissance et limiter les dégâts!La Grèce a longtemps été le «paradis de la pharma», selon l'expression de Pierre Gaudreault. «Le taux d'utilisation des médicaments a longtemps été deux à trois fois plus élevé qu'ailleurs en Europe, et tout était remboursé par l'État», explique ce dirigeant.

Depuis que le gouvernement grec s'est mis à l'austérité, tout a changé. Athènes a ciblé les médicaments, le cinquième de ses dépenses en santé. Le gouvernement a réduit de 35% le budget consacré aux achats de médicaments au cours des deux dernières années.

«Ils nous ont dit: "Si vous ne baissez pas vos prix, on vous retire de la liste des médicaments remboursés"», raconte Pierre Gaudreault.

La Grèce a aussi rendu plus difficile l'accès aux nouveaux médicaments. Ceux-ci ne sont remboursés que lorsque les autres pays de l'Union européenne en font autant.

Le défi de Pierre Gaudreault, c'est de s'entendre avec le gouvernement pour que les ajustements de prix se fassent avec discernement. «L'Europe leur demande de faire des coupes partout, et la première réaction, c'est de couper sans réfléchir», dit-il.

Ce avec quoi il doit composer: La Grèce a beau être une petite division, elle a toute l'attention du siège social. «Depuis la crise, nous sommes sur le radar de Pfizer à New York, car ils ont peur que le pattern de la Grèce se reproduise au Portugal, en Espagne et en Italie.»

En plus, plusieurs pays européens établissent le prix des médicaments remboursés en fonction d'une moyenne européenne. Si les prix baissent en Grèce, cela peut se répercuter en Belgique.

Autre difficulté, locale celle-là. Des hôpitaux ne paient plus leurs médicaments depuis plusieurs années déjà. «Certaines pharmaceutiques exigent maintenant de se faire payer à la livraison», dit-il. Pfizer refuse de faire de même. «Ce n'est pas la meilleure façon de faire. Il faut trouver un terrain d'entente.»

Ce dont il s'ennuie le plus: Ce père de quatre enfants s'ennuie du reste de sa famille et de ses amis du Québec.

Photo fournie par Pfizer

GUY LALLEMAND

Président régional, Afrique et Proche-OrientParcours

Parcours: Ce Montréalais de 54 ans est en poste à Dubaï depuis 2009. C'est sa deuxième affectation à l'étranger pour Pfizer, chez qui il a passé 15 de ses 28 années d'expérience dans l'industrie.

De 2008 à 2009, il était responsable des marchés de langue espagnole depuis Bogota. Diplômé de McGill, Guy Lallemand est titulaire d'un baccalauréat en biochimie et d'un MBA.

Terrain de jeu: Les pays d'Afrique et du Proche-Orient, incluant l'Iran, mais excluant la Turquie. Pfizer compte quelques usines en Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc, Égypte) et au Sénégal. Ces pays exigent que les médicaments soient fabriqués localement quand ils ne sont pas complexes, pour réduire leurs importations. Pfizer compte 2000 employés sur ces territoires et affiche des revenus de l'ordre de 1 à 2 milliards par an.

Mandat: Assurer l'homologation et la promotion des médicaments Pfizer, près de 200 en tout. En Afrique, les gouvernements achètent peu de médicaments, puisqu'ils n'ont pas de programmes sociaux d'envergure. Ils limitent leurs achats aux vaccins et aux médicaments essentiels (contre la malaria ou le VIH).

«Ils vivent selon leurs moyens», dit Guy Lallemand. Ainsi, la plupart des patients paient leurs médicaments de leur poche.

En revanche, les prix des médicaments sont souvent négociés par les gouvernements, prix qui reflètent les moyens de chacun des pays.Au Proche-Orient, la situation diffère grandement. Certains gouvernements investissent massivement en santé.

En Arabie saoudite, par exemple, il s'est construit 60 hôpitaux l'an dernier et il s'en construira autant cette année. Auparavant, les Saoudiens se faisaient soigner en Europe. «Maintenant, c'est l'exception à la règle», dit-il.

Ce avec quoi il doit composer: Le Printemps arabe a eu un effet de courte durée, à l'exception notable de la Libye. Et encore, les soulèvements ont uniquement perturbé les achats gouvernementaux.

En revanche, la distribution reste un défi en Afrique, où les chaînes de pharmacies sont souvent interdites, comme c'est le cas en France. «Ce n'est pas un détail, dit Guy Lallemand. Dans plusieurs pays, le transport n'est pas garanti. Il faut s'assurer que les médicaments soient disponibles dans les pharmacies semaine après semaine.»

Autre difficulté: les règlements sont sujets à changements, sans préavis. «Il faut s'adapter!» De plus, les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous. «Les sociétés pharmaceutiques locales peuvent tourner les coins ronds et donner des enveloppes brunes», note ce dirigeant.

Les gouvernements ont parfois de la difficulté à établir des priorités pour leurs achats. «Une année, ils consacreront 10 millions à un médicament. L'année suivante, ils mettront cet argent ailleurs». Les décisions se prennent rapidement, sans processus formel. «On vit avec cela», dit-il.



Ce dont il s'ennuie: Sa famille et le smoked meat de Montréal.

Photo fournie par Pfizer

THERESA FIRESTONE

Présidente régionale, Asie

Parcours: Cette Ontarienne de 56 ans a déménagé en Asie il y a 18 mois. Ce n'est pas sa première affectation à l'étranger pour Pfizer, son employeur depuis 13 ans. Elle était responsable de l'Autriche de 2007 à 2009.

Originaire de Charlottetown, elle est diplômée en études familiales de l'Université de Guelph.

Terrain de jeu: Bien que son bureau se trouve à Shanghai, Theresa Firestone n'est pas responsable de la Chine, ni de l'Inde. Mais, elle rayonne partout ailleurs en Asie.

Douze pays sont sous sa responsabilité avec une population combinée de plus de 800 millions d'habitants: Indonésie, Pakistan, Philippines, Vietnam, Thaïlande, Malaisie, Taiwan, Hong Kong, Singapour, Birmanie, Laos, Cambodge.

Quelque 5000 employés de Pfizer travaillent dans ces pays. Bien que Theresa Firestone ne soit pas chargée de la production, Pfizer compte deux usines sur ce territoire, au Pakistan et en Indonésie.

Ces économies diffèrent grandement, le Cambodge étant aux antipodes de Singapour. À l'exception de ce dernier pays, toutefois, ces pays ont un point en commun. Ce sont les gouvernements qui achètent les médicaments, par appels d'offres.



Mandat: Développer ces marchés à haut potentiel en raison de leur croissance économique forte et des besoins parfois criants des populations. Cela implique de faire homologuer les médicaments par les autorités sanitaires puis de les distribuer localement.

Deux marchés sont particulièrement attrayants: le Vietnam et l'Indonésie. Ces deux pays sont appelés à connaître une forte croissance économique en plus d'une forte croissance démographique.

Qui plus est, seule une petite proportion de Vietnamiens et d'Indonésiens ont actuellement accès à des médicaments Pfizer.

Dans plusieurs pays, les médicaments Pfizer sont uniquement distribués dans les grandes villes. Theresa Firestone essaie d'atteindre les capitales régionales. Mais ces villes n'ont pas de grandes chaînes, uniquement de petites pharmacies.

Ce avec quoi elle doit composer: Dans sa région, plusieurs médicaments sont contrefaits. On trouve aussi des médicaments génériques à très bas prix, mais de mauvaise qualité, en raison de contrôles de la qualité défaillants. Ces médicaments concurrencent les produits Pfizer.

La piètre qualité des infrastructures complique aussi la distribution. C'est sans parler de l'instabilité politique et climatique.

Les inondations en Thaïlande qui ont commencé l'été dernier, les pires jamais recensées, ont affecté plus de 13 millions de personnes. Plusieurs employés de Pfizer ont été évacués de leur maison. Un fabricant de médicaments à forfait n'a toujours pas relancé sa production. Pfizer a dû se retourner pour trouver des fournisseurs de rechange.

«Cela rend le travail beaucoup plus imprévisible», dit-elle.



Ce dont elle s'ennuie: Ses deux enfants de 26 et de 23 ans, qui habitent Toronto.

Photo fournie par Pfizer