Athènes s'est enflammée hier au moment où le Parlement grec adoptait le plan d'austérité économique imposée par ses créanciers afin d'échapper à la faillite et de rester dans la zone euro.

Près de 100 000 personnes ont violemment manifesté leur désaccord au plan de sauvetage, incendiant ou fracassant les vitrines d'une quarantaine de commerces du centre-ville.

Les manifestations ont débuté en après-midi alors que les parlementaires se réunissaient d'urgence pour débattre du plan de sauvetage économique de la Grèce. Le programme a finalement été adopté par 199 voix de majorité sur un total de 300 députés, dont 278 présents, dans une enceinte où le gouvernement de coalition socialistes-conservateurs pouvait théoriquement compter sur 236 voix.

À l'intérieur du parlement, dont les abords étaient gardés par quelque 3000 policiers, les discussions ont été très vives entre les rangs gouvernementaux et l'opposition de gauche. Une vingtaine de députés qui ne sont pas conformés aux consignes de vote ont d'ailleurs été expulsés. Par ailleurs, 37 députés de la majorité conservatrice et socialiste se sont abstenus ou ont voté contre leur ligne de parti.

Visiblement tendu, le ministre des Finances Evangélos Vénizélos, qui mène depuis des semaines des négociations difficiles avec les créanciers du pays, a rappelé aux députés que le programme devait être adopté hier pour éviter la banqueroute. Il a souligné que l'Eurogroupe, qui pourrait se réunir mercredi, réclamait un vote positif avant l'adoption du deuxième plan de sauvetage du pays, qui prévoit l'attribution de prêts publics de 130 milliards d'euros (172 milliards CAN) et l'effacement de 100 milliards d'euros de créances (132 milliards CAN).

Depuis mai 2010, la Grèce tente de survivre à la faillite grâce à un premier prêt de 145 milliards accordé par le Fonds monétaire international et l'Union européenne. Cette deuxième entente devrait permettre à la Grèce d'effacer environ la moitié de ses dettes privées. Sans ces nouveaux prêts, la Grèce pourrait être confrontée à un défaut de paiement le mois prochain et devoir éventuellement quitter la zone euro, ce qui n'apaiserait en rien les marchés boursiers à l'échelle internationale.

Avant le vote, le président du parti de droite Nouvelle Démocratie, Antonis Samaras, et son homologue socialiste, Georges Papandréou, ont appelé à la tribune les députés à voter en faveur du plan, qu'ils ont qualifié de l'un des votes les plus «difficiles de l'histoire» en raison des contraintes qu'il impose au peuple grec, selon M. Samaras.

Le plan d'austérité ouvre la voie à une chute brutale des salaires dans le privé (dont la réduction du salaire minimum de 22%), censée rendre de nouveau compétitives les entreprises du pays. La fonction publique sera également réduite considérablement. Les syndicats ont jugé que ce plan représentait le «tombeau de la société», tandis que la gauche communiste a appelé à des élections immédiates.

«Guérilla urbaine»

Alors que les parlementaires débattaient, un climat qualifié de «guérilla urbaine d'une rare intensité» a saisi la capitale grecque. Au moins 45 commerces ont été endommagés par les incendies, incluant plusieurs bâtiments historiques, des salles de cinéma, des banques et une cafétéria. Cinquante policiers ont été blessés et au moins 70 manifestants ont dû être hospitalisés. Quarante-cinq émeutiers ont été arrêtés.

Les premiers incidents ont débuté lorsqu'un groupe de manifestants a fait pression sur l'important cordon policier disposé autour du parlement. La police a aussitôt riposté en faisant usage de gaz lacrymogènes.

Les manifestants se sont alors retirés dans les rues adjacentes, qui se sont transformées en champs de bataille: des manifestants ont jeté des pierres, des morceaux de marbre et des cocktails Molotov sur les forces antiémeutes, qui répliquaient avec des jets de gaz lacrymogènes.

Des personnes cagoulées ont brisé des vitrines de magasins sur les grandes avenues du centre. Selon des photographes de l'AFP, des manifestants ont fait usage pour la première fois de pistolets lance-flamme et de bombes incendiaires artisanales, en plus des habituels cocktails Molotov et de pierres.

Dans la ville de Salonique, les manifestations ont rassemblé 20 000 personnes et la police a recensé six banques endommagées.

Le premier ministre Lucas Papademos a condamné la violence tout en soulignant l'importante du choix fait par les parlementaires: «avancer avec l'Europe et la monnaie unique» ou «précipiter le pays dans la misère, la banqueroute, la marginalisation et l'exclusion de l'euro». Sans cet accord, a-t-il déclaré, la Grèce n'avait aucune chance de recevoir le moindre aide pour éviter un défaut de paiement incontrôlé en mars, à l'échéance de créances de 14,5 milliards d'euros. (19,2 milliards CAN)

À minuit (heure locale), les rues du centre-ville étaient encore interdites à la circulation par les barrages policiers. Une vingtaine de personnes qui ont tenté d'envahir la mairie d'Athènes ont été interpellées.

LA CRISE DE LA DETTE EN HUIT DATES

Avril 2010

> Avec 350 milliards d'euros de dette (460 millions CAN), Athènes demande une aide internationale, car elle n'arrive plus à emprunter sur les marchés où les taux sont devenus prohibitifs.

Mai 2010

> La zone euro et le FMI accordent à la Grèce 110 milliards d'euros (145 milliards CAN) de prêts contre un plan d'assainissement de ses finances publiques.

Juin 2011

> Adoption d'un plan pluriannuel révisé de redressement, durcissant l'austérité et élargissant les privatisations.

Octobre 2011

> Nouvelle loi de rigueur sur fond de grève générale et de violentes manifestations. Un mort. Nouvel accord de la zone euro sur un nouveau plan prévoyant un renflouement de 130 milliards d'euros (170 milliards CAN) et l'effacement de 100 milliards (132 milliards CAN) de dette détenue par les créanciers privés. Le premier ministre Georges Papandréou provoque une crise politique en annonçant un référendum sur le plan qui demande de nouveaux efforts. Sous pression européenne, il renonce le 4 novembre et démissionne le 9.

Novembre 2011

> Lucas Papademos, ex-vice-président de la BCE, est désigné pour former un gouvernement de coalition (socialistes, droite, extrême droite).

Décembre 2011

> Vote du budget 2012, troisième budget d'austérité. 

Janvier 2012

> Les banques suspendent les négociations avec le gouvernement pour cause de désaccord sur le coupon des nouvelles obligations à émettre. Discussions avec la troïka UE-BCE-FMI sur les réformes à lancer avant la mise en oeuvre du deuxième prêt européen.> Le 28, Athènes rejette toute idée de céder sa souveraineté en matière budgétaire.

Février 2012

> Avant de s'engager sur le paiement de 130 milliards d'euros d'ici à 2015, Européens et FMI exigent que le parti socialiste et les partis de droite unis dans le gouvernement de coalition s'engagent sur les mesures d'ajustement structurel.

> Jeudi dernier, le gouvernement grec et la BCE annoncent un accord politique sur un mémorandum comportant des conditions draconiennes d'assainissement des finances publiques du pays.

Photo: Reuters

Le Premier ministre Lucas Papademos (à droite) a été applaudi par ses collègues peu avant le vote.