L'assurance vie peut-elle servir à assurer une retraite confortable?

C'est la question qui se pose pour Suzanne et Serge. En 1986, ils s'étaient chacun procuré une assurance vie dotée d'un capital-décès de 150 000$, qu'ils ont ramené à 100 000$ en 1991.

Parents d'une fille maintenant adulte, ils avaient alors besoin d'assurance vie.

«Et en plus, ça nous permettait de constituer une espèce de fonds de pension, explique Suzanne. Mais je ne sais pas si on comprenait bien tout ça et encore aujourd'hui, je n'y vois pas clair.»

En raison des «hauts et des bas de la vie», dit-elle, ils ont respectivement retiré 10 000$ et 12 000$ de leur police, avances qui, avec les intérêts courus, s'élèvent maintenant à 17 000$ chacune.

Les polices de Suzanne et Serge sont des assurances vie entières avec participation aux bénéfices: les assurés peuvent toucher des dividendes sous diverses formes, en fonction des dépenses de l'assureur, du rendement de ses placements et de la mortalité de ses clients. Suzanne et Serge voient ainsi le capital-décès et la valeur de rachat de leur police (la somme qu'ils encaissent s'ils mettent fin au contrat avant le décès) croître avec les années. La prime annuelle de Suzanne est fixée à 1103$.

«Je ne me sens pas flouée», soutient-elle. Mais elle s'interroge. À 53 ans, elle vient de prendre sa retraite, après 34 ans dans la fonction publique. Âgé de 56 ans, son conjoint est travailleur autonome et gagne un revenu modeste. Ni l'un ni l'autre n'ont d'épargne de retraite en REER ou CELI. Doit-elle continuer à payer sa prime? Faut-il plutôt cesser le paiement et encaisser la valeur de rachat?

De l'assurance retraite?

Le planificateur financier et actuaire Daniel Laverdière, expert-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859, a analysé le problème.

Comment l'assurance vie peut-elle participer aux revenus de retraite avant le décès de l'assuré? Le propriétaire de la police peut contracter auprès d'une institution financière un prêt garanti par la valeur de rachat accumulée. L'emprunt est remboursé soit au décès avec le capital-décès, soit avec la valeur de rachat de la police, si ce remboursement est effectué avant le décès de l'assuré. Subtilité: la valeur de rachat est partiellement imposable, mais le capital-décès est libre d'impôt!

Le propriétaire de la police peut également demander à son assureur des avances sur la valeur de rachat, comme Suzanne et Serge l'ont déjà fait. Ces avances constituent des dettes, soumises pour l'instant à des intérêts annuels de 5%, mais qui peuvent atteindre 8% selon les termes de leur police. Elles peuvent être imposables si elles excèdent certains seuils.

Dans un premier scénario, supposons que Suzanne finance sa retraite - ou celle de Serge - avec de telles avances.

Elle continue de payer assidûment ses primes jusqu'à l'âge de 65 ans, sans rembourser les avances déjà touchées. À partir de 65 ans, elle cesse le paiement de sa prime de 1103$ et retire une avance de 2000$ par année à titre de revenus de retraite, ce qui ajoute chaque année 3103$ à la dette accumulée sur sa police... plus intérêts!

La dette, qui s'accroît ainsi d'année en année, ne doit jamais être supérieure à la valeur de rachat accumulée jusqu'alors.

Utilisons les paramètres les plus favorables: le taux d'intérêt sur les avances demeure à 5% et la valeur de rachat s'accroît avec des participations de même ampleur qu'actuellement. Une projection nous montre que la dette rejoindrait alors la valeur de rachat vers l'âge de 87 ans.

Mais dans un cas moins optimiste, c'est-à-dire avec un taux d'intérêt de 8% et des participations inférieures de moitié aux prévisions actuelles, cette conjonction survient vers l'âge de 69 ans.

En outre, «les emprunts ou les avances sont rarement accordés jusqu'au plein montant de la valeur de rachat, notamment en raison de l'impôt latent qui s'appliquerait sur celle-ci», rappelle Daniel Laverdière.

Second scénario: Suzanne met fin à la police et encaisse la valeur de rachat, présentement de 11 015$. Selon son assureur, cette valeur est pour l'instant totalement imposable. Suzanne place cette somme dans son REER et y ajoute chaque année, jusqu'à 65 ans, les 1103$ qu'elle consacrait à sa prime d'assurance. On suppose que tous les crédits d'impôt REER sont réinvestis. On applique à ce scénario un taux marginal d'imposition de 28,5%, correspondant à son revenu actuel de 31 000$.

À partir de 65 ans, Suzanne retire la somme nécessaire pour obtenir le même revenu après impôt que dans la première option (dans notre exemple, 2000$). En supposant un rendement de 3%, le REER est mis à sec vers l'âge de 83 ans. Avec 4%, cette échéance est reportée à 87 ans. Dans un scénario optimiste, avec un rendement moyen de 5%, le capital s'épuise après 95 ans.

«Le scénario du produit d'assurance vie comporte beaucoup plus d'inconnues, sur lesquelles le retraité n'a aucun contrôle, commente Daniel Laverdière. Dans l'ordre des choses, cette stratégie vient bien après le CELI et le REER.»

Dans leurs documents, les assureurs vie eux-mêmes font des mises en garde: l'assurance vie utilisée pour garantir un emprunt ou des avances s'adresse «aux particuliers bien nantis», «qui ont besoin d'une assurance vie», «qui ont maximisé leurs cotisations aux régimes de retraite et aux REER».

Suzanne et Serge n'ont plus besoin d'assurance vie, ne veulent pas laisser d'héritage de cette façon, ont des revenus limités et n'ont pas un sou dans leurs REER et CELI. «La stratégie de retraite par l'assurance vie comporte des risques qui doivent être divulgués au client et bien compris par celui-ci», souligne Daniel Laverdière.

«Je serais porté à mettre fin à la police, notamment en raison de l'incertitude fiscale et du besoin d'assurance qui n'existe plus, et à favoriser plutôt le REER et le CELI», conclut le planificateur.

EN BREF



La situation

Tous deux dans la cinquantaine, Suzanne et Serge ont chacun une assurance vie, mais aucune épargne de retraite. Ces polices, acquises en 1986 et ajustées en 1991, devaient également servir pour la retraite. Pour Suzanne, vaut-il la peine de continuer à payer la prime annuelle de 1103$?

Les données

Suzanne, 53 ans

Aucune épargne de retraite

Assurance vie: assurance de base de 100 000$

Valeur, fin 2011 (avec l'assurance supplémentaire souscrite avec les participations, moins les avances non remboursées)

Capital décès: 84 500$

Valeur de rachat: 11 000$

L'analyse

La stratégie d'une retraite avec l'assurance vie comporte des risques importants - financiers, fiscaux, de longévité - et s'adresse aux gens qui ont déjà maximisé leurs cotisations à leur REER et leur CELI. Pour Suzanne et Serge, mieux vaut encaisser la valeur de rachat et la verser dans leur REER, tout comme l'argent qu'ils consacrent chaque année aux primes.

«La stratégie de retraite par l'assurance vie comporte des risques qui doivent être divulgués au client et bien compris par celui-ci.»

- Daniel Laverdière, planificateur financier, actuaire, expert-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

Photo: Archives La Presse

Daniel Laverdière.