Chaque semaine, nous vous proposons un extrait d'un «cas pédagogique» du Centre de cas de HEC Montréal: la description en contexte d'une situation réelle de gestion qui suscite des interrogations et une réflexion sur certains aspects de la gestion.

On apprend davantage de nos erreurs que de nos succès, dit-on. Si tel est le cas, il est alors crucial de se pencher sur les échecs des entreprises et des gestionnaires, autant que sur leurs succès. L'extrait de cas que nous vous présentons cette semaine concerne la chute de Nortel, une des tragédies d'affaires les plus marquantes de l'histoire canadienne.

Pendant plus de 100 ans, Nortel a été reconnue pour ses percées innovatrices et pour ses contributions au développement du réseau canadien des télécommunications. Ainsi, elle a fabriqué l'équipement télégraphique utilisé lors de la Seconde Guerre mondiale, elle a conçu le premier système de diffusion de films parlants au Canada, elle a été une pionnière des technologies satellites dans les années 60 pour ensuite contribuer à l'établissement du premier réseau canadien de téléphonie cellulaire.

Au début des années 2000, Nortel est frappée par l'éclatement de la bulle technologique. La coque de Nortel, ce Titanic canadien, est en piètre état et ne résiste pas à l'effondrement du marché des télécommunications, à la perte de confiance des investisseurs découlant des annonces répétées d'erreurs ou de redressements comptables, aux coûts (financiers et humains) occasionnés par les nombreux litiges portant sur ses états financiers et au roulement important au sein de son équipe de direction. À partir de 2009, un processus de liquidation de la Société en pièces détachées est amorcé. En juin 2011, les derniers actifs de Nortel, comprenant des brevets pour la recherche en ligne, les vidéos de portables et les réseaux sans fil étaient vendus aux enchères.

États financiers manipulés

Une série de manipulations des états financiers auraient été commises de 2001 à 2003 et auraient impliqué le PDG de l'entreprise ainsi que plusieurs membres de la direction financière. Des experts mandatés par le conseil d'administration ont conclu que la direction de Nortel avait enfreint plusieurs normes comptables américaines afin de verser des primes de performance importantes aux membres de la direction.

Ces personnes font maintenant face à des accusations criminelles au Canada, lesquelles sont entendues devant un tribunal à compter d'aujourd'hui. Aux États-Unis, Nortel a conclu une entente avec la Securities and Exchange Commission et a dû verser plus de 2 milliards de dollars en actions et en espèces aux actionnaires qui auraient été lésés par les manipulations comptables de l'entreprise au début des années 2000.

Les révélations entourant les fraudes présumées ont eu de nombreuses conséquences financières, stratégiques et humaines et ont, en fin de compte, mené à la disparition de l'entreprise. Entre 2002 et 2006, le conseil d'administration et la direction ont consacré un temps considérable à ces fraudes présumées et à leurs conséquences (enquêtes internes, litiges, mise en place de contrôles, révision des processus comptables, etc.), temps qui n'a évidemment pas été consacré aux enjeux stratégiques et commerciaux de l'entreprise. De 2001 à 2009, Nortel a engagé des sommes importantes en honoraires professionnels comptables et juridiques.

Pour comprendre le naufrage de Nortel, il est important de regarder ce qui a précédé le début des fraudes comptables présumées. Nortel a connu plusieurs crash and burn au cours de son existence, mais a toujours survécu en raison de l'appui de sa société mère, Bell Canada, qui a été pendant longtemps son principal client. Toutefois, avec la bulle technologique et les nouvelles technologies, la volatilité du secteur s'est accrue, alors même que le filet de sécurité que représentait le contrôle par Bell Canada était retiré, pour être remplacé par des investisseurs orientés vers le court terme.

Par ailleurs, Nortel a compté six PDG en 20 ans, soit en moyenne un nouveau PDG tous les 40 mois, chacun avec un style différent et la volonté de faire sa marque rapidement. Ces changements ont accru les pressions sur la performance de Nortel et incité les membres de son conseil d'administration à rémunérer ses dirigeants et ses cadres sur la base de la performance organisationnelle (par exemple: bénéfices, actions) tant pour les motiver que pour les récompenser.

Quelques interrogations

Qu'est-ce qui explique le naufrage de Nortel? Comment la rémunération des dirigeants peut-elle inciter à l'adoption de comportements déviants (non éthiques) et à la chute d'une organisation? Comment prévenir les effets dysfonctionnels et s'assurer a contrario que la rémunération des dirigeants contribue à une saine gouvernance et à la performance à long terme d'une organisation? Quelles sont les responsabilités des membres du conseil d'administration en la matière?

À compter de demain, lisez les reportages de notre journaliste Maxime Bergeron qui assistera aux premiers jours du procès des ex-cadres de Nortel, qui débute aujourd'hui à Toronto.

Catherine Rousseau est diplômée du programme de M. Sc. à HEC Montréal. Sylvie St-Onge est professeure à HEC Montréal et directrice et rédactrice de la revue Gestion. Michel Magnan est professeur et titulaire de la chaire en comptabilité Lawrence Bloomberg à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia. Vous trouverez la version intégrale de ce cas de 47 pages à l'adresse https://www2.hec.ca/centredecas du Centre de cas HEC Montréal.