Pouvoir compter sur des services bancaires à l'intérieur d'une résidence spécialisée est assurément pratique pour une clientèle à mobilité réduite comme les personnes âgées, mais encore faut-il que la caissière soit honnête.

La famille de Gilles Patenaude l'a appris à ses dépens. Un jugement récent de la Cour supérieure ordonne à la caisse populaire de Ville-Émard de payer plus de 171 000$ à sa succession parce que la caissière externe Martine Cyr, 20 ans de service à la caisse, a retiré frauduleusement 21 150$ du compte de ce membre Desjardins de son vivant.

La Caisse de Ville-Émard a interjeté appel du jugement, mais ne remet pas en question le remboursement des retraits frauduleux.

Des 171 000$, 50 000$ sont prévus à titre de dommages-intérêts exemplaires et près de 100 000$ servent à rembourser les honoraires extrajudiciaires et les frais d'expert du demandeur.

Enquête bâclée

Dans sa décision de novembre dernier, le juge Robert Castiglio écrit que Desjardins a mené une enquête bâclée qui s'est étirée pendant trois ans. De plus, la directrice des opérations de la caisse, Micheline Girard, aujourd'hui à la retraite, a menti dans le cadre de l'enquête.

Les événements se sont produits à la Résidence du Mont-Carmel, au 955, boulevard René-Lévesque Est, à Montréal où Gilles Patenaude, personne âgée en perte d'autonomie, demeurait. La caisse y offrait des services bancaires.

Après le décès de M. Patenaude, en mai 2005, son frère, liquidateur testamentaire, constate que 13 retraits inhabituels de 1000$ à 2200$ ont été faits dans le compte entre mai 2004 et janvier 2005. Ces retraits, sauf un, survenaient aux mêmes dates que les retraits habituels de 150$ à 200$ que faisait Gilles Patenaude. Un de ces retraits portait la date du 20 janvier 2005, quand Gilles Patenaude était hospitalisé.

Le liquidateur se plaint de la situation à l'ombudsman du Mouvement Desjardins en novembre 2005. Une enquête est enclenchée rapidement, menée par Réjean Bourassa, enquêteur de la Fédération des caisses Desjardins.

Après une première rencontre le 17 janvier 2006, la caissière ne collabore plus à l'enquête. Au terme de celle-ci, la Caisse refuse de donner suite à la plainte et conclut que toutes les transactions ont été autorisées par le défunt.

«La plainte de Patenaude soulevait des éléments troublants. La caisse se devait de faire une enquête rigoureuse d'autant plus que l'employée visée adopte une attitude de non-collaboration. Au lieu de mener une telle enquête, aucune enquête sérieuse ne sera menée», déplore le juge Castiglio.

Les rapports de l'enquêteur passent sous silence le fait que la caissière Martine Cyr avait déposé dans son compte personnel d'importantes sommes en espèces entre mai 2004 et janvier 2005, pour un total de 33 610$. «Ces dépôts en espèces sont tout à fait irréconciliables avec le salaire de l'employée, soit 300$ par semaine», souligne le magistrat.

Normes de sécurité insuffisantes

«Le tribunal est d'avis que la caisse a manqué à ce devoir [de prudence et diligence dans la gestion et l'administration des sommes d'argent qui lui sont confiées] en mettant sur pied un service dans les résidences pour personnes âgées, sans s'assurer de mettre en place des normes de contrôle et de sécurité suffisantes.»

Par exemple, Mme Cyr montait aux chambres des clients pour y faire les transactions bancaires contrairement aux instructions de la Caisse.

Finalement, la caisse a congédié Martine Cyr le 6 novembre 2008, non pas à cause des retraits frauduleux, mais pour congés de maladie non motivés par un certificat médical.

La Fédération des caisses Desjardins a dirigé nos appels à la caisse de Ville-Émard. Il n'a donc pas été possible de savoir si des correctifs avaient été apportés au service des caissières externes dans l'ensemble du Mouvement.

Pour sa part, la caisse de Ville-Émard a cessé d'offrir ce service dans les résidences spécialisées.

«C'est une situation qui est unique et déplorable, a précisé Yves Gibeau, directeur général de la caisse de Ville-Émard. On est en révision de nos façons de faire. On veut dire à nos membres qu'ils sont en sécurité avec la Caisse et on prend toutes les mesures nécessaires à cet égard.»

M. Gibeau est entré en poste il y a deux ans, soit après les événements.