L'Allemagne était cueillie à froid mardi matin par la menace de dégradation de sa note «AAA» par Standard & Poor's (S&P), et certains ténors de la majorité gouvernementale n'hésitaient plus à crier au complot américain contre la zone euro.

La chancelière Angela Merkel a choisi un ton très neutre pour réagir, en déclarant lors d'un point presse mardi qu'il fallait continuer à «mettre en oeuvre les réformes importantes» en zone euro, après l'annonce de l'agence américaine.

Berlin et Paris avaient déjà publié lundi dans la nuit un communiqué commun très mesuré, se disant «pleinement solidaires» pour «assurer la stabilité de la zone euro».

S&P a placé lundi «sous surveillance négative» les notes d'endettement à long terme de quinze pays de la zone euro, notamment celle de l'Allemagne, notée «AAA», la meilleure note possible.

Cela signifie concrètement que l'Allemagne, première économie européenne et en bien meilleure santé que nombre de ses partenaires, risque de voir augmenter ses coûts d'emprunt.

À l'inverse de Mme Merkel, certains membres de la coalition conservateurs/libéraux au pouvoir tiraient à boulets rouges sur S&P.

«Je ne suis pas partisan des théories du complot, mais quelquefois il est difficile de se défaire de l'impression que certaines agences de notation et certains gestionnaires de fonds américains travaillent contre la zone euro», a dit à l'édition en ligne du quotidien Handelsblatt Rainer Brüderle, ténor du parti libéral FDP et ancien ministre de l'Économie.

Pour le parti CDU de Mme Merkel, c'est Michael Fuchs qui a dégainé et déclaré au quotidien Die Welt qu'il voyait «un calcul d'ordre politique derrière cette annonce» de S&P, visant à détourner l'attention des problèmes d'endettement des États-Unis.

«La dette des États-Unis dépasse celle de la zone euro tout entière», s'est indigné le numéro deux du groupe parlementaire de la CDU, alors que le secrétaire d'État américain au Trésor, Timothy Geithner, a entamé mardi une tournée européenne qui l'a d'abord conduit en Allemagne.

«Le fait est que l'on pourrait aussi poser aux États-Unis les questions que S&P pose aux Européens, mais personne ne le fait», a renchéri Otto Fricke, spécialiste des questions budgétaires du parti libéral FDP, en reprochant à l'agence de ne «pas donner un avis objectif, mais de promouvoir une vision anglo-saxonne».

Hans Michelbach, l'un des caciques de la CSU, émanation bavaroise de la CDU, a lui appelé à «interdire la notation des États» en Europe.

Plus modéré, Michael Meister, l'un des spécialistes des questions économiques du camp conservateur, a demandé à «casser le monopole» du trio des grandes agences de notation (S&P, Moody's et Fitch), dans un entretien au Handelsblatt Online.

Il a été rejoint par l'une des grandes voix de l'opposition, l'ancien ministre des Finances social-démocrate Peer Steinbrück.

M. Steinbrück, considéré comme un candidat possible contre Mme Merkel aux législatives de 2013 et très populaire auprès des Allemands, a qualifié de «provocation» l'annonce de S&P. «Cela montre une fois de plus que nous devons nous libérer de cette dépendance aux agences de notation», a-t-il dit à la chaîne télévisée Phoenix.

Toutefois, pour le quotidien Tagesspiegel, à l'avant-veille d'un sommet européen crucial, l'agence américaine, en faisant «monter la pression», pourrait bien «aider Mme Merkel à atteindre son but», à savoir imposer une discipline budgétaire de fer en zone euro.

Un point de vue partagé par le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, en déplacement à Vienne. «Il s'agit de la meilleure incitation possible pour le sommet de cette semaine (...) Je ne peux rien imaginer de plus efficace».