Même confirmé par les agences de notation, le triple A de la dette française est remis en question par les marchés, comme le montre l'écart de taux grandissant vis-à-vis de l'Allemagne, signe pour les investisseurs que le pays ne joue plus en première division dans la zone euro.

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La dette française est considérée avec méfiance sur le marché obligataire, visée par les craintes de contagion de la crise de la dette en zone euro qui semble n'épargner que l'Allemagne. La France risque d'être le prochain sur la liste des pays cibles des marchés après la Grèce, l'Italie, l'Espagne et le Portugal.

Pour preuve, l'écart entre les deux principaux pays de la zone euro n'a jamais été plus important depuis la création de la zone euro.

Ce différentiel, le «spread», entre le taux à 10 ans allemand et français sur le marché où s'échange la dette déjà émise, a atteint plus de 190 points de base mardi (1,90 point de pourcentage), alors qu'il était en dessous des 40 au printemps.

Si la France devait lever des fonds sur le marché aujourd'hui, cet emprunt lui coûterait deux fois plus cher que l'Allemagne, soit environ 3,6% pour Paris et 1,8% pour Berlin.

Compte tenu de cette différence de traitement entre deux pays notés triple A par les trois grandes agences de notations, certains se demandent si la France mérite encore de figurer parmi les premiers de la classe européenne.

«Pour le marché, c'est acté. La France traite au niveau du double A au maximum», souligne Frédérik Ducrozet, économiste chez Crédit Agricole CIB.

Un rapport publié par une banque allemande et un centre d'études européen estime lui que la situation économique du pays est difficilement compatible avec le triple A.

De leur côté, les agences maintiennent le triple A mais Moody's s'est donné trois mois mi-octobre pour étudier s'il y avait lieu de revoir la perspective «stable» d'évolution de la note.

Pour les analystes, la France souffre d'abord des craintes de contagion de la crise des États endettés.

«Pour financer les pertes sur l'Espagne et l'Italie, certains investisseurs de long terme réduisent leur exposition à la France», observe Axel Botte, spécialiste du marché obligataire chez Natixis AM.

Or, si la France est visée, c'est le nouveau mécanisme d'aide européen, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui pourrait en pâtir puisque le triple A du pays, l'un de ses principaux contributeurs, lui est vital.

En plus de la peur de la contagion, la France souffre à cause de ses déficits.

«Il y a peut-être de l'incertitude sur la volonté et la capacité du gouvernement français d'imposer les mesures annoncées», explique Jean-Louis Mourier, économiste chez le courtier Aurel BGC.

Surtout, le pays entre dans une période pré-électorale jusqu'à la présidentielle de mai 2012, difficile à gérer du point de vue des finances.

«Le gouvernement en place aura du mal à resserrer la politique budgétaire au risque de perdre les élections», juge M. Botte.

Cette question agite le débat politique en France, où le triple A est un Graal pour le gouvernement, tandis que le candidat socialiste François Hollande a «constaté que les marchés ont déjà anticipé» une dégradation de la note.

Il commentait l'envoi par erreur jeudi d'une dégradation de la France par Standard & Poor's.

Cette bourde a fait «que pas mal de gens se sont dit qu'il n'y avait pas de fumée sans feu, ce qui entretient les doutes», pour M. Mourier.

«On peut arriver à rassurer les marchés, mais les choix politiques en période d'élections sont incertains», résume Axel Botte même si, pour lui, «la capacité de la France à faire face à ses obligations est intacte».

C'est le paradoxe de cette période, puisque la France continue à être parfaitement solvable et à se financer à un taux historiquement bas.