Avant qu'il n'annonce sa démission comme premier ministre, mardi dernier, Silvio Berlusconi affirmait encore tout récemment qu'il n'y avait pas de crise économique en Italie parce que les restaurants de Rome étaient toujours pleins. Preuve que l'usure du pouvoir peut rendre aveugle.

En arrivant à Rome jeudi, je me suis rendu en début de soirée, d'un pas décidé, vers le parlement italien. Histoire de sentir un peu la fébrilité qui entoure les moments forts d'une crise.

Tout à fait par hasard, en marchant, je me suis retrouvé Via del Plebiscito, tout juste en face du Pallazo Grazioli. Une immense demeure, un palais - deux fois la taille du défunt Club Saint-Denis, rue Sherbrooke, à Montréal -, devant lequel s'agitait une meute de journalistes.

J'étais en fait devant le pied-à-terre romain de Silvio Berlusconi, la résidence personnelle qu'il a acquise il y quelques années et où il était en réunion avec ses conseillers avant de se rendre à une autre réunion au Sénat.

Je n'ai pas attendu avec les journalistes. J'ai continué mon chemin vers le parlement en passant - encore par hasard - devant la fontaine de Trevi. Et partout, effectivement, les restaurants avaient un bon achalandage, semblable à celui que l'on peut observer à Montréal un jeudi soir.

En retournant vers mon hôtel, deux heures plus tard, dans le quartier TrasTevere, situé au centre de Rome, mais de l'autre côté du Tibre (le fleuve), et qui ressemble un peu au Plateau Mont-Royal, je me suis arrêté au café-restaurant La Bohème.

Il était 21 h et j'étais le seul client.

Une crise qui s'étire

«On est au centre de Rome, mais on n'est pas dans un quartier où les gens fortunés sortent, même s'il y a d'innombrables restaurants. On a beaucoup de touristes l'été, mais là, en novembre, c'est la clientèle locale que l'on reçoit habituellement. Depuis deux ans, cette clientèle ne cesse de décroître et aujourd'hui c'est vide», m'explique, résigné, Kostas Ataridis, le propriétaire de la place.

Kostas est Grec. Il vit à Rome depuis 17 ans. Il pensait monter au Nord pour faire fortune. Il ne peut même pas ironiser sur la situation de son pays d'origine tellement il voit celle de l'Italie péricliter. «Je vais ouvrir mon prochain restaurant en Syrie», laisse-t-il tomber.

«Berlusconi voit le monde dans lequel il vit. La situation économique s'est détériorée considérablement à Rome depuis deux ans. Mais depuis un mois, c'est pire que jamais, on ne parle que de ça. Avant, mes clients parlaient de sport ou de musique, mais là, ils ne parlent que de la situation économique et politique.»

L'arrivée de Super Mario

Lidano fait subitement son entrée dans le café. Jeune chirurgien de 38 ans, il est l'ami de Kostas et vient prendre une bière et des nouvelles. Il partage la lecture de la situation de son copain.

«On a l'impression que l'État ne fonctionne plus. Moi-même, j'ai étudié jusqu'à 28 ans pour devenir chirurgien. Pour faire du service public, pour travailler dans la collectivité. Mais je ne peux opérer qu'une ou deux journées par semaine. Il n'y a pas de salles disponibles. Je dois donc travailler dans le privé.

«Je fais deux journées d'opération par semaine à la clinique Parioli. C'est super moderne, équipé, et les gens n'attendent pas, contrairement au système public où tu dois patienter jusqu'à six mois pour réaliser un test de routine», déplore Lidano Casalvieri.

En plus de décrire une réalité qui a une forte résonnance québécoise, Lidano s'interroge sur la légitimité de l'arrivée prochaine d'un nouveau premier ministre.

Mario Monti, 68 ans, économiste, qui a représenté durant 10 ans - de 1995 à 2004 - l'Italie à la Commission européenne avant de devenir président de l'Université Bocconi de Milan, devrait devenir officiellement aujourd'hui le nouveau premier ministre de l'Italie. Il a été nommé mercredi sénateur à vie par le président italien Giorgio Napolitano.

«Ici, on l'appelle Super Mario. Il est peut-être très compétent, mais ce n'est pas la démocratie, nommer quelqu'un de l'extérieur pour régler nos problèmes. On dirait que l'Italie ne va nulle part», souligne le chirurgien.

Au-delà de la complexité de la situation politico-économique de l'Italie, le constat général qui semble émerger de la crise actuelle est qu'il fallait à tout prix que Silvio Berlusconi quitte, rapidement, ses fonctions.

«Les gens ont peut-être voté pour Berlusconi, mais il a fait la preuve qu'il était incapable de gérer la crise actuelle. Même si on dit que la crise touche toute l'Europe, Berlusconi a fait mal à l'Italie. Je n'ai jamais voté pour lui et je suis content qu'il s'en aille», confesse Marc, un étudiant à la maîtrise en édition.

«Je suis jeune et je suis optimiste quant à l'avenir», insiste-t-il.