Les investisseurs anticipent d'ores et déjà que la France risque d'avoir du mal à conserver la meilleure note possible auprès des agences d'évaluation financière, comme l'atteste l'écart toujours plus important entre le rendement des obligations françaises et allemandes.

Pour la première fois, l'écart (spread) entre les taux des deux pays a dépassé 120 points de base en séance vendredi.

Par comparaison, il n'est que de 45 points de base pour les Pays-Bas, 49 pour la Finlande ou 72 pour le Royaume Uni, tous détenteurs eux aussi de la note maximale «AAA».

«Il faut être réaliste, aux yeux du marché, la France a déjà perdu son précieux +triple A+», commente Philippe Hab, gérant de fonds pour la société de gestion SPGP.

Ce sésame lui permet d'emprunter dans des conditions très favorables pour financer ses déficits budgétaires.

La société d'investissement Carmignac Gestion, très friande de titres de dette française jusqu'au début 2011, fuit ce type d'actifs qu'elle juge désormais trop risqués.

«Nous ne détenons plus d'obligations françaises dans nos portefeuilles et nous ne comptons pas revenir sur ces titres pour l'instant», indiquait jeudi Didier Saint-Georges, membre du comité d'investissement de la société, un des poids lourds européen avec 45,5 milliards d'euros d'actifs gérés.

«La note de la France est menacée et la situation s'avère délicate. Plus qu'une hausse d'impôts, il faudrait procéder à une réduction des dépenses publiques, ce qui paraît très difficile en période électorale. Or, je ne sais pas si les agences de notation auront la patience d'attendre mai 2012», expliquait M. Saint-Georges.

Selon M. Hab, les investisseurs s'inquiètent aussi du fait, même s'ils ne veulent pas l'admettre, que la gauche remporte l'élection présidentielle. «Un gouvernement socialiste sera peu à même, aux yeux du marché, de mettre en place une fiscalité plus importante», commente le gérant.

Mais c'est surtout le spectre d'un ralentissement de la croissance française qui inquiète par dessus tout.

«Le pays s'apprête à abaisser ses prévisions économiques pour 2012. Sans croissance, il ne pourra jamais se désendetter. Il semble bien que l'on soit rentrer dans une spirale infernale», souligne un analyste parisien sous couvert d'anonymat.

Première à écorner le précieux «triple A» français lundi, l'agence d'évaluation financière Moody's Investors Service s'est donnée trois mois pour déterminer si la perspective «stable» de la note souveraine de la France était toujours justifiée au vu de la dégradation de la situation économique.

Dans un scénario du pire, qui tente d'extrapoler les conséquences d'une rechute violente dans la récession de la zone euro, sa concurrente Standard & Poor's a envisagé de son côté une baisse de la note d'un cran, à «AA+».

«Ces simulations ne reflètent pas les hypothèses de base de Standard & Poor's, qui sont celles intégrées dans les notes actuelles», a toutefois précisé une porte-parole de l'agence américaine.

Mais les pressions des marchés sont de jour en jour plus perceptibles.

Ainsi, les CDS, les contrats d'assurance contre le défaut de remboursement, sur la France, ressortaient à 190 points de base ce vendredi.

Cela signifie que pour s'assurer contre le défaut de paiement de l'État français sur une dette de 10 millions d'euros à échéance de cinq ans, un investisseur devra s'acquitter de 190 000 euros par an.