Un séjour dans un monastère grec soupçonné de corruption. Une randonnée en vélo avec Arnold Schwarzenegger. Une invitation-surprise du premier ministre de l'Islande. Voilà un bien drôle de voyage autour du monde - sauf si on s'appelle Michael Lewis, le journaliste économique le plus célèbre et le plus abrasif de la planète.

Ancien courtier chez Solomon Brothers dans les années 80 (son baptême littéraire, Liar's Poker, raconte son expérience à Wall Street), Michael Lewis a écrit Moneyball (Brad Pitt joue présentement dans l'adaptation cinématographique), The Blind Side et surtout The Big Short, un livre sur la crise financière américaine et ceux qui ont fait de l'argent en la prévoyant.

Dans son dernier livre, Boomerang, lancé jeudi dernier, Michael Lewis part en mission à l'étranger pour comprendre la crise économique qui fait trembler l'Europe depuis trois ans. Pour les non-initiés, le style Lewis n'a rien à voir avec un cours magistral universitaire. Son analyse, autant économique que sociologique, ne fait pas dans la dentelle. Sous sa plume, les Grecs sont un peuple de menteurs qui ne paient pas leurs impôts, les Allemands sont des banquiers naïfs et culpabilisés, tandis que les Islandais et les Irlandais n'étaient pas sociologiquement prêts à accéder aux cercles de la haute finance.

Michael Lewis est ébahi par son séjour en Grèce, de loin le pays le plus surréaliste du périple. Les enseignants y sont surpayés, les trains coûteux et inefficaces. Le gouvernement a l'habitude de manipuler ses propres chiffres - jusqu'à enlever les tomates de l'indice de prix à la consommation pour contrôler l'inflation ! L'auteur sympathise avec l'ex-ministre des Finances George Papaconstantinou - pas un vrai Grec, décrète-t-il -, qui tentait jusqu'en juin dernier de faire le ménage dans les finances publiques en imposant un plan d'austérité.

En Grèce, Michael Lewis découvre aussi un peuple culturellement allergique aux impôts. « En Grèce, ne pas payer ses impôts est aussi grave que ne pas ouvrir la porte à une femme », lui dira dit un employé du fisc. Un exemple frappant : selon leur déclaration au fisc, les deux tiers des médecins grecs gagnent moins de 12 000 euros par année. Le gouvernement n'a pas été plus brillant. « La première chose qu'un gouvernement faisait durant une année électorale était d'enlever les collecteurs d'impôts de sur le terrain », dit l'ex-ministre Papaconstantinou.

Dans cette crise, Michael Lewis s'intéresse aussi aux créanciers - les Allemands dans le cas de l'Europe. Il explique leur sentiment de devoir sauver l'Europe de la faillite par une hypothèse qui ne manquera pas de soulever la controverse. « Pour les Allemands, l'euro n'est pas qu'une devise, c'est une devise pour oublier le passé, c'est un autre mémorial à l'Holocauste », écrit-il.

Après son tour du monde, Michael Lewis revient à la maison, où il discute de finances publiques en vélo avec Arnold Schwarzenegger. L'ex-gouverneur de la Californie, l'État le plus fauché du pays, lui fait une confession étonnante : il a décidé de se lancer en politique sur un coup de tête dans un taxi en direction du Today Show de Jay Leno, où il allait promouvoir son film Terminator 3. Sur le fond, Michael Lewis estime que le Governator a tout essayé, mais que la Californie est une cause perdue : ses citoyens ne veulent pas payer pour leurs services, en partie parce que le cerveau humain n'est pas fait pour évoluer dans l'abondance. « Nous avons créé une dysfonction physiologique, lui confie un neuroscientifique à UCLA, Peter Whybrow. Nous avons perdu notre capacité de nous réglementer à tous les niveaux de la société. »

Une fois de plus, Michael Lewis s'impose comme l'un des meilleurs vulgarisateurs économiques de son époque. Boomerang, dont certains extraits ont déjà été publiés dans le magazine Vanity Fair, laissera le lecteur à la fois captivé et terrifié. Surtout qu'il devra trouver seul les solutions. C'est le seul reproche qu'on peut faire au docteur Lewis : malgré la qualité de son diagnostic, il n'offre pas vraiment de remède à son patient pourtant mal en point.

Michael Lewis, Boomerang : Travels in the New Third World, W.W. Norton & Company, 2011, 213 pages.