Les tergiversations au sein de la classe politique allemande sur le bien-fondé d'un deuxième sauvetage de l'économie grecque incitent les spéculateurs à parier sur son insolvabilité imminente et même sur celle des banques françaises, grandes détentrices de la dette hellène.

Toutes les places boursières européennes ont connu une journée orageuse hier. Le communiqué final de la rencontre des ministres des Finances du G7, samedi à Marseille, n'a pas fait contrepoids aux déclarations du ministre des Finances allemand Wolfgagng Schaeuble qui a menacé de ne pas verser les 8 milliards d'euros prévus au plan de sauvetage à moins que la Grèce atteigne ses cibles budgétaires.

Le lendemain, à Athènes, le gouvernement de George Papandreou a adopté d'urgence une nouvelle taxe foncière qui sera perçue à même la facture d'électricité et qui doit rapporter plus de 1,7 milliard d'euros (2,3 milliards CAN).

Cela n'a pas empêché, ce même dimanche, le ministre allemand de l'Économie, Philipp Rösler, de déclarer qu'il ne faut plus exclure «l'insolvabilité ordonnée de la Grèce». On spécule sur les préparatifs de Berlin à soutenir ses banques, advenant cette éventualité.

Vendredi, l'économiste en chef de la Banque centrale européenne, l'Allemand Juergen Stark, a démissionné. On le sait en désaccord avec la décision d'acheter sur le marché secondaire des obligations des États membres, dans le but d'accorder des liquidités aux banques qui les détiennent.

C'est ce qui explique la plongée de plus de 10% des actions de Société Générale, de BNP Paribas et de Crédit Agricole. Les trois principales banques françaises détiennent ensemble 56,7 milliards d'euros de dettes souveraines et de créances privées ou bancaires grecques. Les banques allemandes suivent, à hauteur de 33,9 milliards.

Les intervenants sur les marchés exigent aussi des rendements très élevés sur les titres d'emprunt d'autres pays comme l'Espagne ou l'Italie. Cette dernière a dû consentir un taux de 4,153% pour un emprunt de 12 mois. Il y a un mois à peine, c'était 2,95% selon un relevé de Bloomberg. En comparaison, les États-Unis pouvaient emprunter pour 10 ans en consentant un rendement de 1,91%, le plus faible en 60 ans.

«Nous sommes rendus au point où les pays en crise représentent environ le tiers du PIB (produit intérieur brut ) de la zone euro, a indiqué le prix Nobel d'économie Paul Krugman, dans sa chronique hebdomadaire du New York Times dimanche. L'existence même de la monnaie commune européenne est menacée.»

À ses yeux, la crise est imminente et elle se fera sentir dans le monde entier. Pour l'éviter, il préconise de prêter massivement et à faible taux aux pays coincés, plutôt que de leur faire la morale.

La difficulté politique est immense. Au sein des pays prêteurs comme l'Allemagne, mais aussi les Pays-Bas et la Finlande, la colère grandit à l'idée d'assumer les coûts d'emprunt pour des prêts à des étrangers, alors qu'il faut en même temps se serrer la ceinture pour rétablir l'équilibre budgétaire. Le déficit allemand équivaut à 2,0% de son PIB, soit le double de celui de la Finlande mais moins que les 3,7% des Pays-Bas.

Ces tensons politiques ont longtemps été sous-estimées par les marchés financiers, croient Angelo Katsoras et Pierre Fournier, analystes géopolitiques à la Banque Nationale qui avaient lancé une mise en garde très documentée, dès février.

La semaine dernière, ils sont revenus à la charge avec une mise à jour mettant en lumière neuf éléments qui nourrissent la crise de la dette souveraine. «Les tensions géopolitiques entre les pays et même en leur sein vont continuer de miner la capacité de la zone euro de résoudre la crise de la dette, concluent-ils. Le risque grandit qu'un ou plusieurs gouvernements refusent de financer les sauvetages ou d'en accepter les conditions, selon le cas. Cela peut précipiter une insolvabilité désordonnée.»

Ce n'est pas le poids de la dette grecque qui fait problème. Elle représente à peine 3% de celle de la zone euro, même si elle étouffe la petite économie du pays du bouzouki.

La peur de la contagion

C'est l'effet de contagion, alors que l'Europe peine à relancer sa croissance et que les mesures d'austérité exigées par les prêteurs la freinent. Ainsi, la Grèce vit sa quatrième année de contraction économique, ce qui la prive de rentrées fiscales et aggrave sa situation.

Sans être étranglée, la France est dans la ligne de mire des agences de notation. Des six pays européens dont la dette est notée AAA, elle est la plus endettée (l'équivalent de 62% de son PIB) en plus d'avoir le déficit le plus élevé (5,7% du PIB).

Les élections présidentielles d'avril approchent à grands pas. Une crise bancaire serait une vraie catastrophe.

Le président Nicolas Sarkozy sera-t-il capable de forcer la main une autre fois à la chancelière allemande Angela Merkel qui a perdu sa majorité à la Chambre haute en défendant trop fermement le sauvetage grec et l'euro? À suivre...