Les Australiens font du surf pendant que les Canadiens font de la planche à neige. Et pourtant, les deux pays sont étonnamment synchronisés. Première tranche d'une série qui se poursuit demain et lundi.

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Aucun pays n'est plus éloigné du Canada. C'est ce que pensaient les autorités britanniques lorsqu'ils ont exilé en Australie les Patriotes et les colons écossais qu'ils ont emprisonnés lors des Rébellions de 1837-1838.

Et c'est ce que pensent encore aujourd'hui les voyageurs à leur descente d'avion.

Mais, au-delà de la distance, des palmiers et des saisons inversées, le Canada et l'Australie présentent des ressemblances frappantes. Ressemblances qui vont bien au-delà de leur héritage politique commun.

Deux gouvernements minoritaires. Deux économies qui se sont rétablies de la crise financière, l'Australie n'ayant même pas connu de récession! Deux systèmes bancaires solides. Deux marchés immobiliers qui se sont fortement appréciés, sans délirer.

Plus encore? Deux pays qui carburent au pétrole, au gaz, au charbon. Deux dollars qui ont décollé en flèche. Deux économies à deux vitesses, les États manufacturiers de l'Est étant à la remorque des régions riches en minerais, au nord et à l'ouest.

La différence entre le Canada et l'Australie est donc plus une affaire d'intensité. Comme ce soleil qui brûle les terres australiennes, tout ici est plus exacerbé. Moins diversifiée que le Canada, l'Australie a réagi plus fortement au boom des ressources naturelles.

Nulle part est-ce plus visible qu'à l'aéroport de Perth, capitale de l'Australie-Occidentale, dans l'ouest du pays. Tous les matins, des armées de travailleurs miniers décollent à bord d'avions pour aller trimer dans le nord de cette province aux terres rouges et arides.

L'appétit de la Chine pour les ressources naturelles de l'Australie paraît insatiable. Les sociétés minières peinent à trouver assez de travailleurs et de logements pour approvisionner ce pays, premier client des «Aussies».

C'est ce qui explique que Rio Tinto ait récemment rouvert un aéroport désaffecté à Busselton, pour avoir accès à des travailleurs dans la région de Margaret River, à trois heures de route au sud de Perth.

C'est ce qui explique que Chevron ait affrété un luxueux bateau de croisière, amarré près de Barrow Island, pour loger les travailleurs qui construisent son complexe gazier offshore Gorgon. Aucun moyen ne paraît insensé.

Diplômé de l'École de technologie supérieure, Éric Marion travaille à Perth pour la firme d'ingénierie Ausenco, spécialisée dans les projets miniers. Pour dénicher ce poste, cet ingénieur mécanique de 32 ans a passé cinq entrevues en l'espace d'une semaine. «J'ai reçu trois offres d'emploi qui promettaient toutes le double du salaire et des vacances que je recevrais à Montréal», raconte Éric Marion qui, après avoir tâté le surf dans l'océan Indien, ne pense pas rentrer au pays de sitôt.

En raison de la flambée des prix des ressources, les expéditions de minerais et de carburants fossiles ont bondi de 25% en un an pour atteindre 165 milliards de dollars australiens en 2010. Cela représente plus de 70% des expéditions de marchandises du pays!

Toute cette effervescence n'est pas passée inaperçue à la banque centrale d'Australie. Depuis la fin de 2009, elle a donné sept petits tours de vis au crédit. Son taux directeur s'établit maintenant à 4,75%.

«Je m'attends à ce qu'il y ait trois autres hausses de 25 points centésimaux chacune d'ici la fin de l'année», ajoute Stephen Walters, économiste en chef chez JP Morgan Australia. De son côté, Richard Gibbs, économiste en chef de la firme Macquarie Securities, s'attend à une hausse de seulement 25 points, ce qui porterait le taux directeur à 5%.

Les grandes inondations et l'ouragan Yasi, qui ont durement touché le Queensland, en début d'année, ont déjà refroidi l'économie. Le produit intérieur brut (PIB) ne progresserait que de 2% au lieu de 2,75%, comme Richard Gibbs le prévoyait auparavant. Pour sa part, Stephen Walters estime que le PIB avancera de 3% au lieu de 3,6%.

Quoi qu'il en soit, le taux déjà élevé du loyer de l'argent a propulsé le dollar australien. Il a touché la parité avec le billet vert pour la première fois en octobre! Il s'échange autour de 1,02$US, de sorte que les dollars américain, canadien et australien valent à peu près la même chose, une rare convergence. Mais le rattrapage a été nettement plus grand pour la devise australienne plus identifiée aux ressources. Au début de 2006, le huard valait 86 cents, tandis que le dollar australien valait seulement 73 cents.

Si tout sourit à l'Ouest, tout n'est pas si rose dans l'Est. Les taux d'intérêt élevés et une devise forte font mal aux entreprises manufacturières, qui voient leurs clients étrangers bouder leurs produits, devenus trop onéreux.

Pendant ce temps, ces entreprises ont aussi à composer avec une pénurie de travailleurs et des salaires qui grimpent en raison du boom minier. Le salaire minimum s'élève à 15 dollars l'heure dans ce pays où l'on ne donne pas de pourboires. «L'industrie minière est comme un gros aspirateur qui avale tout sur son passage», note Heather Ridout, chef de la direction du Australian Industry Group, qui représente 60 000 entreprises de toutes tailles employant plus de 1 million de salariés.

Peggy Flett en sait quelque chose. Chef de la direction du Brightwater Group, qui gère une vingtaine de centres d'accueil et d'établissements en réadaptation, elle doit offrir des horaires archiflexibles et de la formation pour recruter et conserver ses préposés aux bénéficiaires. «Sans avoir la possibilité d'ajuster nos tarifs, qui sont réglementés, nous devons rivaliser d'imagination», dit cette femme d'affaires de Perth.

Avec un taux de chômage de 5%, le pays flirte avec le plein emploi. Le gouvernement essaie de pallier le problème en délivrant des visas temporaires à des travailleurs et à des professionnels de l'étranger.

Serge Dansereau, chef propriétaire du Bathers' Pavilion, restaurant réputé sur la plage de Balmoral, en banlieue de Sydney, s'attend à devoir parrainer la venue de cuisiniers, de serveurs et de garçons de table. De l'Inde, de Thaïlande et peut-être même du Canada! «Je ne vois pas comment je trouverai assez de personnel autrement», soupire ce chef d'origine québécoise.

L'immigration temporaire ne rapièce pas tout, note toutefois Richard Gibbs. «On ne peut pas «importer» des électriciens étant donné que nos normes sont différentes», illustre-t-il.

Qui plus est, les importants travaux de reconstruction à la suite des catastrophes naturelles dans le Queensland vont créer encore plus de surchauffe, craint Stephen Walters. Ces travaux sont estimés à 13 milliards, dont 5,6 milliards seront assumés par le gouvernement.

«Malheureusement, à Canberra, tous les partis, de gauche comme de droite, parlent de réduire le nombre d'immigrants que l'Australie accueillera, déplore cet économiste. Parce qu'ils ont peur de passer pour des mous sur la question de l'immigration illégale, ils font du populisme.»

Sur ce dossier, les gens d'affaires d'un bout à l'autre du pays s'entendent. Mais pas sur le partage des richesses...

Heather Ridout craint que l'Australie ne se prépare de difficiles lendemains en misant tout sur l'industrie minière, reconnue pour ses cycles très marqués. Elle souhaite que le pays profite du boom minier pour renforcer son secteur manufacturier. Son association patronale réclame notamment de nouveaux crédits d'impôt à la recherche et une baisse du taux d'imposition des entreprises, qui se situe à 29%.

«On ne peut penser que les prix élevés des matières premières dureront éternellement, dit-elle. Et s'il ne reste plus d'industrie manufacturière à ce moment-là, nous serons dans de beaux draps.»

Mais cette idée de redistribuer les richesses de l'industrie minière hérisse les politiciens et les gens d'affaires de l'Ouest, qui a une longue tradition de méfiance envers Canberra. La région avait même tenté de se séparer du reste de l'Australie par référendum en 1933!

«Il y a beaucoup de frustrations ici, dit James Pearson, PDG de la Chambre de commerce et d'industrie de l'Australie-Occidentale. Nous avons l'impression que notre rôle et notre contribution au pays ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Pis, nous nous sentons exploités par le gouvernement fédéral et les États de l'Est.»

Les dirigeants de cet État ne se sont pas remis de la nouvelle taxe sur les profits des sociétés minières, dernière manifestation ce qu'ils considèrent comme du mépris. D'ailleurs, les modalités de cette taxe controversée font encore l'objet d'âpres négociations.

«L'industrie minière a permis au pays de passer au travers de la crise financière, et on la remercie en lui demandant de payer encore plus d'impôts, s'offusque James Pearson. Pourquoi voudriez-vous pénaliser votre industrie la plus rentable?»

C'est un discours qui en rappelle d'autres, ici au Canada.