Divorcer n'est jamais facile. Mais quand, en plus, il faut se battre en cour et payer grassement un avocat, les choses se compliquent passablement. Cette situation, Carlo Licursi, 56 ans, l'a vécue il y a deux ans. Non seulement sa séparation a été pénible, mais il a aussi dû larguer l'avocat qui le représentait.

«Ses tarifs étaient excessifs», raconte ce chauffeur de taxi montréalais.

En septembre 2009, il s'est donc mis à la recherche d'un nouvel homme de loi, plus abordable financièrement. Sur le conseil d'un ami, il a surfé dans l'internet, puis est tombé sur le site de petites annonces Kijiji.ca. C'est là qu'il a trouvé la perle rare, parmi des annonces de bureaux à louer et des offres imbattables de courtiers immobiliers.

Jérémie John Martin, de Montréal, y affichait depuis peu ses services pour un tarif qui défiait toute concurrence. Une belle annonce, avec sa photo et une description sommaire de ses compétences. Surtout, des prix extraordinaires. Pour seulement 70$ l'heure, on pouvait le consulter en droit de la famille, pour des litiges civils et commerciaux, en droit du travail, en droit corporatif... Sans surprise, il était débordé.

«C'est fou, je pouvais recevoir de six à huit appels par jour!» raconte le jeune avocat de 26 ans.

Grâce aux petites annonces en ligne, Jérémie Martin a pu rapidement se bâtir une clientèle, au point où, six mois après avoir lancé son bureau dans son sous-sol de l'arrondissement de Ville-Émard, il s'est installé dans un vrai bureau d'avocats, au centre-ville de Montréal. Drôle de retournement de situation pour celui qui, en 2008, tout juste après avoir obtenu son Barreau, avait dû accepter un job comme agent de sécurité parce qu'il n'avait pas réussi à trouver du travail dans un cabinet, malgré les lettres de recommandation et les dizaines de CV qu'il avait faits parvenir. Aujourd'hui, il faudrait de très gros arguments pour le convaincre de revenir en arrière.

«Jamais, même pour 200 000$ par année, je n'irais pas!» dit-il.

Des avocats diversifiés

Il faut dire que, probablement un peu malgré lui, Jérémie Martin est une sorte de pionnier. Il y a deux ans, dit-il, peu d'avocats affichaient leurs services par l'entremise de ce moyen. Peut-être n'osaient-ils pas le faire, ou n'y avaient simplement pas songé. Aujourd'hui, il y en a un peu plus. Une simple recherche sur Kijiji avec le mot avocat renvoie à des dizaines d'occurrences. Il y en a pour tous les goûts et besoins. On trouve des avocats en droit des affaires, en droit de la famille, en droit criminel, en droit immobilier. Il y a des fiscalistes et des pros de la Régie du logement. Il y a même des spécialistes plus pointus comme en droit de l'immigration. Certains offrent des rabais pour attirer les clients. D'autres jouent sur leurs origines, comme celui-ci qui s'affiche comme avocat tunisien, sans donner d'autres détails.

«Pour moi, ma business, c'est Kijiji!» dit Virginie Illouz, avocate de 26 ans. Elle s'est lancée seule en décembre 2009, tout de suite après son Barreau. Les huit premiers mois, dit-elle, 90% de ses clients provenait de Kijiji; aujourd'hui, le bouche à oreille aidant, c'est un peu moins, mais elle estime qu'encore les trois quarts de sa clientèle la trouvent sur ce site. Elle pratique en droit de la famille et en droit du logement.

Vrai, il n'y a pas que Kijiji. Des avocats, on en trouve aussi, bien qu'en moins grand nombre, sur LesPac (lespac.com), Annonce123 (annonce123.com) et d'autres sites encore. Jérémie Martin, lui, annonce également sur Craiglist (https://montreal.fr.craigslist.ca/), ce populaire site américain décliné un peu partout en versions locales. «Excellent pour attirer une clientèle anglophone», dit-il. Sur Kijiji, les annonces sont gratuites, mais Me Martin débourse 14,99$ par semaine pour que la sienne apparaisse toujours dans le haut de la liste des annonces d'avocats.

Bons, les avocats Kijiji?

Comme Me Martin, la plupart des avocats qui s'affichent dans les petites annonces internet pratiquent en solo. Mais sont-ils de bons avocats? Le premier réflexe est de croire que non. Après tout, un professionnel qui a besoin de passer par les petites annonces pour trouver des clients ne doit pas être très calé. Intuition logique mais sans doute fausse. Car sur l'internet, comme ailleurs, il y du bon et du mauvais.

En fait, c'est plutôt la qualité des clients qu'il faut remettre en question, variable selon les tarifs. Jérémie Martin s'en est rendu compte, au début, lorsqu'il annonçait un taux horaire de 70$.

«C'était une mauvaise clientèle, dit-il. Des gens qui magasinaient ou qui voulaient entreprendre toutes sortes de poursuites frivoles.»

Progressivement, il a donc augmenté ses prix, pour les fixer aujourd'hui à 120$ l'heure. Il offre aussi des forfaits. Comme par magie, la qualité des clients s'est améliorée. Il a ainsi obtenu de très bons mandats, comme ce divorce qui lui a rapporté 5000$, une cause en annulation de pension, 2000$, un litige devant la CSST, 2500$.

Bien sûr, il en est bien conscient, ce sont de petits mandats, qui n'ont rien à voir avec les mégatransactions que pilotent les avocats des grands cabinets. BCE, c'est sûr, ne prendra jamais contact avec lui pour diriger sa prochaine acquisition. Mais, peu lui importe, il gagne très bien sa vie, au point où il doit régulièrement refuser des dossiers... tellement il est occupé avec ses clients Kijiji.

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