Investir ou non à la Bourse? Voilà l'incontournable question que nous ramène chaque année la période de souscription aux REER. La question est d'autant plus d'actualité cette année que les investisseurs, il faut bien l'admettre, ont dû vivre avec des fluctuations tout à fait exceptionnelles au cours des trois dernières années.

Les Bourses, dont celle de Toronto, ont toutes connu une embellie depuis le mois d'août. L'indice S&P/TSX a bondi de 2000 points en 5 mois seulement, une hausse de plus de 17%. Les indices américains ont également connu des hausses semblables.

Mais qu'en est-il de l'économie? Est-ce que la reprise justifie une telle poussée boursière? Ne risquons-nous pas de nous faire encore surprendre par une chute brutale des marchés?

Aux États-Unis, il existe une réelle dichotomie entre la performance de la Bourse et celle de l'économie, explique Viet Buu, président de CTI Capital Valeurs mobilières. «À preuve, la remontée des Bourses amorcée au mois d'août n'a pas eu d'impact sur la confiance des consommateurs. Au contraire, celle-ci a baissé durant cette période», dit-il.

Assouplissement quantitatif

L'accroissement des liquidités par les banques centrales, principalement aux États-Unis, semble être à l'origine de la hausse de la Bourse. Tous les gains boursiers en 2010 ont été réalisés depuis le mois d'août. Rappelons que c'est à ce moment que les dirigeants de la Réserve fédérale américaine (Fed) ont présenté l'idée d'une deuxième ronde d'assouplissement quantitatif, soit un rachat des obligations du gouvernement en circulation.

En novembre, la Fed est passée à l'action. Le programme annoncé devrait durer jusqu'au mois de juin et totaliser 600 milliards.

Le but avoué de la Fed est de permettre aux Bourses d'améliorer leur rendement et de créer un effet de richesse chez les consommateurs qui recommenceront alors à jouer un rôle déterminant dans la croissance économique.

Les deux rondes d'assouplissement quantitatif ont été accompagnées d'importants déficits budgétaires. On a pris les grands moyens, explique M. Buu. «C'est maintenant au tour du consommateur. Il faut qu'il s'engage et que l'économie redémarre», dit-il.

Les résultats boursiers de 2011 dépendront probablement de cette réaction. «Bien que l'on entame l'année avec un sentiment de sécurité envers le marché boursier, le risque d'un dérapage est maintenant plus grand», estime Viet Buu.

Marché d'anticipation

L'annonce en décembre d'une entente entre la Maison-Blanche et le Congrès permettant le maintien des baisses d'impôts décrétées par l'administration Bush en 2008 pourrait être un élément important de la reprise de l'économie.

Les ménages américains savent maintenant à quoi s'en tenir quant à leurs impôts, explique Stéfane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale Financière. «L'économie va faire mieux et la dichotomie entre les marchés boursiers et la confiance des consommateurs va s'estomper», dit-il.

Cela devrait permettre à l'indice S&P 500 de la Bourse de New York de gagner de 8 à 10% en 2011.

Si les Bourses ont si bien fait dans la deuxième moitié de 2010, c'est qu'elles sont des marchés d'anticipation. L'abondance de liquidités a permis aux marchés de précéder l'embellie économique.

Toutefois, la fenêtre d'opportunité ne durera que six mois, selon l'économiste de la Financière. L'économie devra suivre, sinon le risque d'un recul des marchés augmentera, selon M. Marion.

Entreprises en bonne santé

À défaut de s'appuyer sur une forte croissance économique, les investisseurs achètent des actions parce que les entreprises sont en bonne santé financière. C'est le constat que fait François Dupuis, économiste au Mouvement Desjardins.

Les entreprises ont profité de la crise financière et de la récession pour faire le ménage et pour améliorer leur rentabilité, estime l'économiste. «Elles embauchent peu parce que la demande est encore faible, mais elles sont en bonne situation et font de bons profits», dit-il.

Compte tenu des profits en hausse anticipés et le fait que les marchés ont beaucoup baissé, le potentiel de hausse des marchés boursiers est intéressant, selon le Service des études économiques de Desjardins.

On prévoit que le rendement total (gain de capital et dividendes) de l'indice S&P/TSX sera de 12,5% cette année. La valeur de l'indice grimpera de 8% en 2012.

Quant au marché américain, le S&P 500 gagnera 15,3% en 2011 et 7% en 2012, toujours selon Desjardins. «Ce sont des progressions normales après des baisses de l'ampleur de celles que l'on a connues», dit François Dupuis.

2010: une année en dents de scie

L'amélioration des conditions économiques en 2010 a été satisfaisante, mais sans plus. La croissance du PIB pour l'année devrait être légèrement inférieure à 3%, autant au Canada qu'aux États-Unis. Cela demeure plutôt faible étant donné que l'on sort d'une récession, explique François Dupuis, économiste en chef au Mouvement Desjardins. Dans de telles circonstances, la croissance aurait dû avoisiner 4%, selon lui. De plus, la progression de l'économie durant l'année n'a pas été linéaire. Après un bon départ en début d'année sous l'impulsion des programmes de stimuli des gouvernements, l'économie a semblé ébranlée à compter du printemps par la faiblesse de l'emploi. Et la crise des dettes souveraines qui a de nouveau fait les manchettes n'a rien fait pour améliorer la situation. Mais à compter de septembre, plusieurs indicateurs économiques ont repris du mieux. Les Bourses ont suivi la même trajectoire. Une solide hausse de 15% des indices nord-américains s'est arrêtée en avril, et les marchés ont ensuite tout reperdu. Mais en septembre, la remontée s'est amorcée pour clôturer l'année avec des hausses annuelles de 17%. Pour 2011, Desjardins prévoit une croissance du PIB de 2,4% au Canada et de 2,3% aux États-Unis. Un rendement satisfaisant, mais sans plus. - Jean Gagnon