L'avocate de Lola vient de remporter une spectaculaire victoire en Cour d'appel du Québec. Mais qui est véritablement cette femme aux allures de Castafiore?

Anne-France Goldwater savait depuis la veille que le jugement dans l'affaire Éric c. Lola serait remis le lendemain à 9h à tous les avocats. Si bien que, mercredi dernier, au moment de le ramasser avec ses collègues au greffe de la Cour d'appel, l'avocate de Lola n'avait presque pas dormi de la nuit. Stressée? Au point d'en avoir des nausées!

«J'avais l'impression d'être comme le soldat qui s'en va à la guerre et qui marche vers la mort; c'est une drôle de sensation», dit l'avocate, alors qu'elle reçoit La Presse dans son bureau de Montréal, quelques jours après sa spectaculaire victoire.

Au greffe, «l'ennemi» - les avocats d'Éric - était déjà là. Suzanne Pringle, l'avocate qui représente le milliardaire québécois depuis le début, avait même l'enveloppe dans ses bras. «On ne l'a pas encore lu, Anne-France, on va le faire au bureau», s'est tout de go exclamée Me Pringle à la vue de son adversaire. Entre elles, les avocates se tutoient.

Anne-France Goldwater avait aussi décidé de ne pas l'ouvrir sur-le-champ, pour ne pas éclater en sanglots en cas de défaite, mais également pour partager le résultat avec Guy Pratte, retenu au palais de justice. Le super plaideur de BLG était arrivé au dossier quelques mois plus tôt, en renfort pour la Cour d'appel. C'est donc dans un minuscule bureau à cloisons où il faisait chaud qu'elle a pris connaissance de la bonne nouvelle.

«Les mots du jugement dansaient devant mes yeux, dit celle qui a eu 50 ans l'été dernier. En même temps, mon coeur battait à 100 milles à l'heure et je n'étais pas capable de respirer. J'ai cru faire une crise d'anxiété!»

Une battante

Ceux qui la connaissent vous le diront, dans la vie comme au travail, elle est comme ça, Anne-France Goldwater: vraie, émotive, exubérante, intense... Mais une sacrée bonne avocate.

«En 43 ans de pratique, c'est l'une des meilleures que j'ai affrontées!» dit Norton Segal, 69 ans, avocat en droit familial et civil. Il trouve sa collègue brillante, dotée d'une connaissance supérieure en droit de la famille, capable d'imaginer des nouveaux concepts juridiques qui font généralement mouche auprès des juges. Surtout, c'est une guerrière, une fighter, pour reprendre le terme exact de Me Segal.

Du sang de battante, il lui en a fallu dans ce dossier qu'elle a repris au pied levé en janvier 2005. Car depuis, ses adversaires ne lui ont pas fait de cadeaux, multipliant comme il se doit les embûches juridiques et procédurales. Avec sa collègue de longue date, Marie-Hélène Dubé, les deux femmes y ont passé près de 4000 heures, sans compter tout le travail des avocats salariés du cabinet Goldwater, Dubé.

Ce cabinet, elle l'a fondé seule, il y a presque 30 ans, alors qu'elle n'avait que 21 ans et qu'elle était enceinte de son premier enfant. Sa mère était décédée depuis longtemps; son père, lui, venait de mourir. Elle pensait faire du droit fiscal, mais, très vite, elle a bifurqué vers le droit de la famille, comme son père, un avocat généraliste qui a «aidé le petit monde durant toute sa carrière». Aujourd'hui, Goldwater, Dubé compte une douzaine de salariés, dont cinq avocats. Le cabinet traite une centaine de dossiers annuellement, dont certains parmi les plus célèbres.

Bizarrement, on n'a pas l'impression d'être dans un cabinet d'avocats quand on met les pieds dans son bureau. Peut-être, justement, parce que ce n'est pas un bureau, mais une forêt tropicale! Il est décoré d'arbres et de plantes venus d'on ne sait d'où. Il y a des jouets et des animaux en peluche partout. Un Alien géant - comme dans le film - trône juste en arrière de son fauteuil. Et dans la salle d'attente - en rénovation - un gorille et un orang-outang grandeur nature accueillent les visiteurs, sans doute médusés.

En entrevue, elle est comme à la télé. Elle parle vite, mais articule bien. Et elle passe souvent du coq à l'âne, comme si son cerveau était trop rapide pour ses mâchoires. De temps en temps, elle laisse échapper un sacre et un rire bien senti qu'on entend du hall d'entrée. Vulgaire? Pas vraiment. En fait, son physique de Castafiore porte à merveille ses propos qui, dans la bouche d'autres, pourraient choquer. Ainsi, elle seule peut déclarer à un journaliste que ses deux passions dans la vie hormis le travail sont le vélo et le sexe.

«Et pas nécessairement dans cet ordre!» ajoute l'avocate, qui a rencontré il y a 10 ans son conjoint de fait sur une piste cyclable. Dans sa vie sentimentale, elle a connu les deux statuts: elle a été mariée et a vécu en concubinage.

Deux enjeux, une bataille

Cette cause des conjoints de fait, elle la prend à coeur, comme beaucoup d'autres. Pourtant, dit-elle, ce n'est pas celle qu'elle considère comme la plus importante de sa carrière. Il y en a eu d'autres, notamment en 2002 où elle a gagné la cause du mariage entre conjoints de même sexe (Hendricks c. Québec (Procureur général), une affaire bien plus stimulante sur le plan intellectuel, dit-elle.

Dans Éric c. Lola, le défi était plutôt de surmonter les préjugés, très forts dans l'opinion publique à l'égard des conjoints de fait, ces «super couples» supposément sans interdépendance économique. Peut-être qu'ils seraient tombés plus facilement si les médias avaient mieux joué leur rôle, croit-elle, pour expliquer les véritables enjeux de l'affaire. Ou des deux affaires, pour être plus précis.

Car le dossier a été scindé en deux, en 2005, pour séparer le litige purement privé entre Éric et Lola, de celui sur la constitutionnalité de l'article du Code civil du Québec portant sur l'obligation alimentaire des gens mariés. Or, peu de gens le savent, mais le litige privé a été réglé... le 16 mai 2006, lorsque la juge Ginette Piché, de la Cour supérieure, a ordonné à Éric de tripler sa pension alimentaire à près de 35 000$ par mois.

Le reste de l'histoire est un enjeu purement constitutionnel, dont l'issue aura nécessairement des répercussions sur des millions de gens. Vrai, la bataille oppose des gens riches, dit l'avocate. «Mais, pour une fois, une lutte de riches pourrait véritablement aider les pauvres.»

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Les causes célèbres d'Anne-France Goldwater

> 1991: Me Goldwater a fait reconnaître le syndrome de l'aliénation parentale par les tribunaux québécois dans un contexte de garde d'enfants (l'honorable juge John Gomery était saisi de l'affaire).

> 1991: son cabiner obtient en Cour d'appel le droit pour un parent conjoint de fait d'obtenir une provision pour frais afin de l'aider à payer les coûts d'un litige concernant un enfant. La Cour suprême a refusé l'autorisation d'en appeler de ce jugement.

> 1993: Me Goldwater a obtenu en Cour d'appel la reconnaissance du droit des pères de continuer à partager l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de leurs enfants, même si la garde est attribuée à la mère.

> 1995: Me Goldwater a obtenu devant la Cour d'appel le droit pour des enfants d'être parties au litige entre leurs parents, et d'être représentés par un avocat indépendant de leur choix.

> 2002: son cabinet gagne la cause du mariage entre conjoints de même sexe.

> 2003: Me Goldwater, avec Me Schirm et l'appui du Barreau du Québec, a fait invalider devant la Cour d'appel la loi qui empêchait les créanciers alimentaires de faire exécuter les jugements rendus en leur faveur et les empêchant d'obtenir des informations au sujet du débiteur alimentaire. Donc, une femme peut faire émettre ses propres saisies, sans attendre le MRQ!

> 2005-2010: son cabinet combat pour la reconnaissance des droits des conjoints de fait dans leurs rapports mutuels, devant la Cour d'appel.

> 2005-2007: son cabinet plaide la cause Marcovitz c. Bruker devant la Cour suprême du Canada concernant le divorce religieux juif.

> Juin 2010: son cabinet plaide un procès en Cour supérieure concernant la constitutionnalité des barèmes de pension alimentaire pour enfants au Québec en raison de leur insuffisance. Cette cause a été entendue par l'honorable juge Diane Marcelin qui l'a mise en délibéré.

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