Grâce à l'entente France-Québec, la première cohorte d'avocats français débarquera bientôt au Québec. Mais trouveront-ils un job? Pas si sûr...

Éric Duret adore le Québec, mais c'est surtout parce que son fils de 19 ans a récemment été admis à l'Université McGill qu'il a décidé de quitter la France pour s'y établir en permanence.

«Dès que j'ai mes papiers, j'arrive!» dit cet avocat parisien de 63 ans, qui espère s'installer dans la Belle Province le plus vite possible.

Éric Duret a déjà acheté sa maison, à Saint-Lambert, et, côté boulot, il a pris les dispositions pour travailler ici dès son arrivée. Le 10 septembre, il a passé et réussi l'examen d'équivalence permettant aux avocats français de pratiquer au Québec. Après la cérémonie de prestation de serment et le règlement de diverses formalités, il deviendra membre du barreau du Québec.

Cet «arrangement de reconnaissance mutuelle» (ARM) entre le Barreau du Québec et le Conseil national des barreaux, en France, découle de l'entente Québec-France sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles signée en octobre 2008 par le premier ministre du Québec, Jean Charest, et le président de la République française, Nicolas Sarkozy. «C'est super, je vais pouvoir pratiquer le droit québécois», dit ce spécialiste en droit fiscal international.

Comme lui, une dizaine d'avocats de l'Hexagone se sont prévalus de l'ARM pour passer l'examen. Les trois quarts l'ont réussi et pourront donc bientôt, eux aussi, pratiquer au Québec. Le mois prochain, des avocats québécois passeront un test semblable, à Versailles, dans l'espoir de pratiquer en France. Une belle initiative... sauf que le droit d'exercer ne garantit pas nécessairement un job. Surtout au Québec.

Pas de jobs pour les Français!

Pour Éric Duret, pas de problème, car il a l'intention de pratiquer à son compte comme il l'a toujours fait. Il possède déjà une bonne clientèle qu'il pourra servir à distance de Montréal. Pour les autres, ça risque d'être plus compliqué.

«C'est presque impossible!» dit Natacha Mignon, 33 ans, qui a elle aussi réussi l'examen en septembre. La jeune femme a quitté la France en novembre 2008 pour suivre son conjoint ingénieur, muté à Montréal. Avocate en litige commercial et droit des sociétés à Paris, puis à Lyon, elle pensait bien trouver facilement du boulot en débarquant ici. Elle a rapidement déchanté après avoir discuté avec quelques recruteurs juridiques et envoyé près de 150 CV à des cabinets du Québec.

«C'est simple, je n'ai eu aucun entretien d'embauche», dit celle qui, en France, n'avait jamais connu un jour de chômage. L'an dernier, elle s'est donc recyclée dans le journalisme et occupe depuis mai le poste de directrice de la rédaction de Droit-inc.com, un site juridique bien connu des avocats québécois. Elle caresse aussi le projet de créer une association franco-québécoise pour aider les avocats français à percer le marché québécois et aider les avocats québécois à trouver un boulot en France.

Il est vrai que Me Mignon est arrivée au Québec en plein milieu de la crise économique, à un moment où les cabinets étaient plutôt en mode dégraissage qu'en période d'embauche. Si elle était débarquée en plein boom, peut-être que la situation aurait été différente. Sauf que, dans son cas et celui de ses confrères français, la conjoncture n'explique pas tout.

La théorie c'est bien, la pratique c'est mieux!

«Ça risque d'être très difficile», dit la recruteuse juridique, Caroline Haney. Elle souligne qu'il y a déjà beaucoup de candidats locaux de qualité à la recherche d'un job. Les cabinets et les départements juridiques d'entreprises ont l'embarras du choix, et n'ont pas nécessairement envie d'embaucher un avocat qui n'a pas l'expérience pratique en droit québécois. Car, bien qu'il y ait des compétences transférables entre la France et le Québec, la profession ne se pratique pas tout à fait de la même manière.

«C'est simple, les employeurs ne veulent pas être obligés d'entraîner un avocat lorsqu'ils peuvent en engager prêt à démarrer sur-le-champ», souligne Me Haney.

Cette réalité, Gérard Samet, 57 ans, la connaît bien. Cet avocat français est arrivé au Québec en 2005, croyant qu'il trouverait facilement du travail ici. Grave erreur! À l'époque, il n'y avait pas d'entente de reconnaissance mutuelle. Il est donc retourné sur les bancs d'école, a obtenu 70 crédits universitaires, puis est passé par l'École du Barreau. Il a été assermenté le 14 juin dernier, après avoir passé six mois de stage chez un avocat rabbin! Depuis, il a envoyé près de 200 CV à des cabinets et entreprises d'ici, sans résultat aucun.

«Très peu de cabinets ont de l'intérêt pour un avocat avec de l'expérience française», dit ce sympathique monsieur, qui lui aussi s'est recyclé dans le journalisme, économique dans son cas. C'est dommage, dit-il, car, avec l'accord de libre-échange qui se négocie actuellement entre le Canada et l'Europe, certains cabinets auraient intérêt à avoir des avocats, comme lui, qui connaissent bien le système européen des contrats et des tribunaux. Bien sûr, il en est conscient, son âge joue aussi en sa défaveur. Mais Gérard Samet aime tellement sa profession d'avocat qu'il est prêt à recommencer à zéro, au bas de l'échelle s'il le faut, comme un jeune étudiant qui sort de l'université.

«Tout ce que je cherche, dit-il, c'est un cabinet qui va me donner une chance.»

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