Deux semaines. C'est le temps qu'il a fallu aux avocats pour boucler l'acquisition de CTV par Bell. L'avocat de Bell/BCE qui a piloté la transaction raconte...

Depuis qu'il travaille chez Bell, l'avocat Michel Lalande a piloté juridiquement des dizaines de transactions. Il a vendu CGI, créé Bell Alliant, a joué un rôle prépondérant dans la privatisation manquée de BCE par Teachers'... Mais jamais il n'avait eu à faire aussi vite pour conclure une transaction comme celle qui a récemment permis à BCE de mettre la main sur le réseau CTV. Entre le 26 août, quand les négociations finales s'amorcent, et le 10 septembre dernier, alors que l'on annonce publiquement l'entente, il s'est passé exactement 16 jours. Un record?

«Je n'en sais rien, mais jamais je n'ai eu à faire un deal dans une si courte période», dit l'avocat de 44 ans.

Le premier vice-président et chef du service juridique de Bell/BCE reçoit La Presse dans le tout nouveau Campus Bell de L'Île-des-Soeurs. Le jeune papa de trois enfants a l'air en pleine forme, il a eu le temps de décompresser, après ce tourbillon qui l'a gardé éveillé jour et nuit juste avant la rentrée scolaire. Il n'a même pas eu le temps de ranger son bureau, où traînent encore des montagnes de dossiers, dont le contrat de la transaction Bell/CTV, qu'il me montre du doigt en désignant un classeur... mais qu'il ne me laissera pas regarder.

«La particularité de cette transaction tient dans la multiplicité des parties impliquées et au fait que l'on a dû conclure rapidement», explique Michel Lalande. Il souligne qu'il a fallu négocier avec trois actionnaires - Woodbridge, Teachers' et Torstar - ce qui, on l'imagine bien, est plus difficile que lorsqu'on a un seul opposant. De plus, il y avait deux transactions dans une, celle de BCE rachetant CTV, et celle de Woodbridge rachetant le Globe and Mail. Tout cela à réaliser selon un échéancier hyper serré de deux semaines.

«Il fallait faire vite pour minimiser les risques de fuites. On ne voulait pas que nos concurrents apprennent nos tractations par les médias.»

Ça commence dans la tête du boss

L'histoire commence par un jour de février 2010, alors que George Cope, grand patron de BCE, est aux Jeux olympiques de Vancouver. Le contenu des Jeux est accessible par l'entremise des portables de Bell, commanditaire de l'événement. Pour George Cope, il s'agit d'une révélation, car c'est là qu'il réalise à quel point le contenu deviendra crucial pour les années à venir. «C'est la clé de notre stratégie», confie-t-il à quelques intimes. Des discussions informelles s'amorcent alors avec les autres actionnaires de CTV.

Avançons jusqu'en août 2010, le 26 plus précisément. Il est environ midi quand Michel Lalande reçoit un coup de fil du chef de la direction financière qui lui dit: «Je crois qu'on a un deal... mais on n'a pas beaucoup de temps.» Michel Lalande reprend aussitôt son téléphone pour appeler Marc-André Blanchard, président de McCarthy Tétrault, et confie le mandat à ce cabinet. Ici, pour quiconque connaît le milieu juridique, la décision est surprenante. Car en fusions et acquisitions, les avocats externes de BCE/Bell sont habituellement Stikeman ou Davies; c'était eux qui représentaient d'ailleurs BCE lors de sa privatisation avortée. «On essaie de choisir nos avocats externes en fonction des particularités de chacune des transactions», explique Michel Lalande. Ici, de plus, certains cabinets étaient en conflit d'intérêts puisqu'ils représentaient en même temps d'autres parties.

L'avocat passe ensuite plusieurs heures au téléphone avec les avocats de McCarthy Tétrault affectés au mandat. Il explique en long et en large la transaction, le rôle qu'ils auront à jouer, et insiste sur le fait qu'ils devront faire preuve d'une confidentialité absolue. Essentiellement, McCarthy devra rédiger un projet de contrat et effectuer la vérification diligente. En deux semaines!

Michel Lalande, lui, agira comme chef d'orchestre pour l'ensemble de l'opération.

Le premier projet de contrat arrive deux jours plus tard. Michel Lalande le reçoit sur son BlackBerry alors qu'il se trouve à Las Vegas pour l'enterrement de vie de garçon d'un bon copain. C'est de sa chambre d'hôtel qu'il le lit et y apporte ses commentaires. Cette première mouture est envoyée en milieu de semaine aux avocats de l'autre partie, du cabinet Torys, de Toronto.

Ce premier jet n'est pas mal du tout, à tel point que les avocats de Torys le qualifient de fair. Il faut dire que tout le monde est bien conscient de l'urgence de la situation. On s'est mis en mode «raisonnable». «Ce n'était pas le temps de niaiser avec les détails», dit Michel Lalande.

Bien sûr, il y avait des enjeux importants, comme la structure fiscale et à qui reviendraient les risques de clôture. Puisqu'il y avait deux transactions, un des points importants pour Bell était de s'assurer que sa transaction avec CTV se conclue, indépendamment de l'autre, celle où Woodbridge achète le Globe and Mail. Sur ce point, Michel Lalande était intraitable.

Le lendemain, le jeudi 2 septembre, Bell reçoit les principaux commentaires des avocats de Torys... et y répond presque sur-le-champ; le vendredi, un projet révisé est renvoyé à Torys. Dès le samedi, en plein week-end de la fête du Travail, on est presque prêt. On passe le reste de la fin de semaine à commenter l'autre projet de contrat, celui de la vente du Globe à Woodbridge.

Au même moment, les gens de CTV sont impliqués. On veut notamment s'assurer des représentations et garanties. Normal, on veut être certain que les actifs que l'on achète aujourd'hui n'auront pas subi de changements importants au moment de la clôture de la transaction. Et tout ça doit être bien inséré dans un contrat.

En parallèle, on travaille déjà sur le moment où l'on annoncera la transaction. Michel Lalande vise le vendredi 10 septembre. Mais voilà, il faut faire une présentation de la transaction au conseil d'administration, car il doit l'approuver. Il est 2h30 vendredi matin quand la transaction est finalement scellée. Michel Lalande est allé se coucher... avant de se faire réveiller trois heures plus tard pour présenter le tout par vidéoconférence aux membres du CA.

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