Décrit hier à son procès comme «un somnambule dans un champ de tir», Jérôme Kerviel a accusé sa hiérarchie de lui avoir demandé de prendre des risques de plus en plus grands, avant d'être violemment traité de menteur par son ancien patron.

Longuement interrogé, beaucoup plus à l'aise que la veille, toujours dans son costume sombre mais sans cravate, l'ancien trader de la Société générale a admis, dans l'enceinte du tribunal, ce qu'il avait déjà reconnu: il a exagéré, pulvérisé les limites, enregistré des opérations fictives pour couvrir ses engagements.

Mais il a aussi répété que sa hiérarchie savait tout ce qu'il faisait et encourageait les «stratégies de trading» qui rapportent de l'argent.

«La hiérarchie, c'est moi, la hiérarchie ne savait pas!» qu'il avait engagé des dizaines de milliards sur les marchés financiers, a rétorqué Jean-Pierre Mustier, ancien patron de la banque de financement et d'investissement de la Société générale (SG CIB), témoin cité par la partie civile.

«On encourage les traders à savoir prendre des risques, pas à prendre des risques», a-t-il expliqué. «Vous m'avez toujours menti, monsieur Kerviel», a-t-il lancé au prévenu.

Jérôme Kerviel, 33 ans, est jugé, pour avoir fait perdre à la banque 4,9 milliards d'euros (6 milliards CAN) au début de 2008, après avoir pris à l'insu de sa hiérarchie des positions spéculatives exorbitantes, en déjouant tous les contrôles. Il encourt cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende.

À l'audience d'hier, le tribunal a creusé la question des «limites» supposées posées aux engagements des traders et leurs «dépassements». Selon la banque, le cumul des risques pris par les traders ne devait pas dépasser 125 millions d'euros.

Les limites étaient dépassées «quasiment tous les jours», a assuré Jérôme Kerviel. «On recevait un mail (...) mais on n'avait jamais de remontrance.» Et pour ajuster artificiellement ses positions, il saisissait «des opérations fictives».

«Les techniques, le système, je ne les ai pas inventés», a-t-il dit.

La prise de positions spéculatives «n'entrait pas dans mon mandat», mais «mes supérieurs m'ont demandé de le faire, parce que ça faisait gagner de l'argent», a-t-il affirmé.

Échanges tendus

Les échanges se sont tendus lorsqu'un avocat de la Société générale, Me Jean Veil, a interrogé Jérôme Kerviel sur une présumée tentative de détournement de fonds reprochée à son frère, comparant ses «agissements» à celui du trader.

L'avocat de Jérôme Kerviel, Me Olivier Metzner, s'est emporté, évoquant lui des malversations reprochées à la banque.

Au début des débats, Jean-François Lepetit, 68 ans, ancien président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), était venu expliquer le fonctionnement des salles de marchés.

Il a comparé Jérôme Kerviel à «un somnambule dans un champ de tir», se disant «pas convaincu qu'il ait bien compris ce qui se passait autour de lui».

Le risque «calculé» est «la matière première d'une salle», a-t-il dit, et «il arrive que les limites soient dépassées».

Mais, dans ce cas, a souligné M. Lepetit, «la transparence est toujours de rigueur» et, «bien sûr, «les opérations fictives, c'est interdit». Certes, a-t-il ajouté, «sur des milliers d'employés des salles de marchés, il y a forcément un trader qui fait des bêtises».