Shirley Chénier a un problème insolite. En Amérique du Nord, ses interlocuteurs ont plutôt la tête dans les nuages. Elle aimerait bien qu'ils remettent les pieds sur terre.

En Europe, c'est l'inverse: ses interlocuteurs sont bien terre à terre et auraient avantage à tourner le regard vers le ciel.

 

Shirley Chénier est directrice des relations avec les investisseurs de Bombardier. Or, en Amérique du Nord, les investisseurs ont tendance à considérer d'abord et avant tout la division aéronautique de Bombardier et portent peu d'intérêt à la division ferroviaire.

En Europe, c'est tout le contraire.

«Parfois, j'y rencontre des investisseurs qui me disent: «Ah, vous êtes dans les avions aussi?»» s'amuse Mme Chénier.

Elle attribue cette situation à une question de culture.

«La culture européenne est beaucoup plus axée sur le transport par train, alors que la culture américaine l'est davantage sur l'avion», avance-t-elle lors d'une entrevue avec La Presse Affaires Magazine.

C'est aussi une question de proximité. La plupart des grandes usines de Bombardier Transport sont en Europe. Le siège social de cette division est d'ailleurs à Berlin. Et à part l'usine Shorts de Belfast, toutes les usines de Bombardier Aéronautique se trouvent en Amérique du Nord.

Cet aspect est particulièrement important pour la presse.

«Les médias fixent pas mal leur attention sur les retombées économiques, l'emploi, observe Mme Chénier. Ça peut avoir des répercussions.»

Même les analystes, qui doivent connaître tous les aspects de l'entreprise, ont eu tendance à favoriser une des deux divisions. Ce n'est plus le cas.

«Habituellement, c'est bien équilibré, mais il y a trois ans, en Amérique du Nord, on ne voyait que l'aéronautique, raconte Mme Chénier. Il y a eu pas mal de progrès. Mais j'ai fait beaucoup d'efforts.»

Elle reconnaît que, pendant plusieurs années, les revenus de Bombardier Transport étaient inférieurs à ceux de Bombardier Aéronautique. Et le rendement n'était pas à la hauteur des attentes.

«La restructuration a eu des effets bénéfiques, dit-elle. Les résultats sont là. Les efforts que nous avons faits pour ramener la division transport à un niveau plus normal sont en train de porter leurs fruits.»

Les revenus de Bombardier Transport ont atteint 10 milliards de dollars US pendant l'exercice 2010 (qui a pris fin le 31 janvier 2010), alors que les revenus de Bombardier Aéronautique se sont établis à 9,4 milliards US. Le bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) de la division ferroviaire a également été supérieur à celui de la division aéronautique, soit 625 millions US comparativement à 473 millions US.

«La plupart des investisseurs ont tendance à se concentrer sur la division aéronautique, reconnaît l'analyste Michael Willemse, de CIBC. La stabilité des commandes et des revenus et la tendance de la marge bénéficiaire de Bombardier Transport permettent d'évaluer de façon optimiste cette division. Par contraste, en raison de la volatilité de l'industrie aéronautique, les investisseurs rajustent régulièrement leur perception de l'évaluation de Bombardier Aéronautique.»

L'analyste estime que la stabilité de Bombardier Transport devrait inciter les investisseurs à réviser à la hausse l'évaluation de l'ensemble de l'entreprise. Il rappelle que 85% des clients de Bombardier Transport sont des sociétés gouvernementales, comme des chemins de fer nationaux ou des sociétés de transports urbains. La division est donc relativement bien protégée des ralentissements économiques. En outre, une augmentation des dépenses gouvernementales visant à stimuler l'économie devrait avoir un impact favorable sur les projets d'infrastructures ferroviaires, notamment en Chine et en France.

M. Willemse souligne également que Bombardier Transport a diminué la volatilité de ses résultats en réduisant ses coûts, en se montrant plus prudent face aux imprévus et en améliorant sa façon de répondre aux appels d'offres.

Bombardier Transport a enregistré une marge BAII de 6,2% pendant l'exercice 2010. La division vise maintenant une marge de 8% dans trois ou quatre ans. Son carnet de commandes se situait à 27,1 milliards US au 31 janvier 2010, ce qui correspond à 2,7 années d'activité.

«Le carnet de commandes de Bombardier Transport permettra à Bombardier de passer à travers le ralentissement et de conserver un bon bilan jusqu'à ce que la division aéronautique se ressaisisse», commente David Newman, de la Financière Banque Nationale.

Les analystes se montrent également optimistes en ce qui concerne les commandes à venir.

«Nous croyons que les perspectives à moyen terme demeurent prometteuses, avec d'importants contrats qui devraient être obtenus au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, en Suisse, en Italie, en Chine, en Inde, aux États-Unis et au Canada (le métro de Montréal), indique l'analyste Benoît Poirier, de Valeurs mobilières Desjardins.

Le carnet de commandes de Bombardier Aéronautique a subi une cure minceur au cours des dernières années, avec un grand nombre d'annulations, surtout du côté des avions d'affaires. Au 31 janvier 2010, il se situait à 16,7 milliards US.

Les analystes estiment toutefois que le pire est passé. Le trafic passager a repris sa croissance et on voit des signes encourageants du côté de l'aviation d'affaires.

Selon Tasneem Azim, de la firme UBS, le programme de la CSeries continue à gagner de la crédibilité, notamment avec la récente commande de Republic Airways pour 40 appareils.

«À l'heure actuelle, les investisseurs attribuent peu de valeur au programme CSeries, croit Michael Willemse, de CIBC. Pour notre part, nous croyons que cette valeur se situe autour de 1,50$ par action, avec un potentiel à la hausse.»

Sur une liste de 19 analystes qui suivent Bombardier compilée par Bloomberg, 15 recommandent l'achat du titre et quatre suggèrent de le conserver.

 

Bombardier en un coup d'oeil

> Effectifs: 62 900 employés

> Siège social: Montréal

> Revenus (var. un an): 19,4 milliards US (-1,5%)

> Bénéfice net (var. un an): 707 millions US (-29%)

> Cote récente (au 4 mai, var. un an): 5,20$ (+33%)

> Valeur boursière (au 4 mai): 9 milliards

 

Bombardier Transport

> Effectifs: 33 800 employés

> Siège social: Berlin

> Revenus (var. un an): 10 milliards US (+2,6%)

> BAII (var. un an): 625 millions US ("17%)

> Flux de trésorerie: 293 millions US

> Carnet de commandes (var. un an): 27,1 milliards US ("9,7%)

 

Bombardier Aéronautique

> Effectifs: 28 900 employés

> Siège social: Montréal

> Revenus (var. un an): 9,4 milliards US (-6,1%)

> BAII (var. un an): 473 millions US (-47%)

> Flux de trésorerie: -267 millions US

> Carnet de commandes (var. un an): 16,7 milliards US (-29%)