Le problème avec les modes et les tendances, c'est qu'on ne sait jamais à quoi s'attendre. Dureront-elles? Disparaîtront-elles aussi vite qu'elles sont apparues? C'est un peu la question qu'on se pose ces temps-ci dans le milieu juridique concernant une nouvelle façon de faire censée révolutionner, voire réinventer la manière de rendre des services juridiques: le legal project management (LPM), qu'on pourrait traduire par «gestion de projet juridique».

De grands cabinets d'avocats internationaux - dont Eversheds, au Royaume-Uni, Seyfarth Shaw, aux États-Unis, et McCarthy Tétrault, au Canada - ont récemment sauté à pieds joints dans le LPM avec la «ferveur de ceux qui se convertissent à une nouvelle religion», a noté le mois dernier l'hebdomadaire The Lawyers Weekly.

 

«C'est le nouveau mot à la mode chez les avocats!» dit l'associé Jean-Pierre Bertrand, leader du groupe de pratique de litige de McCarthy Tétrault et fervent partisan du LPM. Dans ce cabinet, on pratique la gestion de projets de façon systématique depuis deux ans. On a même embauché un gestionnaire certifié du Project Management Institute.

Il faut dire que la méthode promet de grandes choses à ses adhérents: elle améliore la qualité des services, permet de respecter les délais, de réduire les risques d'erreur, d'améliorer l'efficacité et de mieux gérer les coûts. Rien que ça!

La gestion de projets, ce n'est pourtant pas nouveau. Introduite aux États-Unis dans les années 50 par l'industrie de la construction et les entreprises manufacturières, elle s'est rapidement propagée à d'autres secteurs. Les firmes de génie, notamment, sont des pros en la matière. La profession juridique, comme c'est souvent le cas - mis à part quelques exceptions -, a néanmoins longtemps résisté, peut-être en raison de son conservatisme ou de sa satisfaction quant au statu quo.

La dernière récession mondiale a tout changé. Avant la crise, les cabinets d'avocats engrangeaient les profits en facturant des heures à des taux exorbitants. Depuis, les clients se sont réveillés. Ils ont réduit leur budget juridique et exigé de leurs avocats externes de meilleurs services à moindres coûts. Ce qu'ils veulent surtout, c'est pouvoir prévoir - dans la mesure du possible - les coûts d'un projet juridique, du début à la fin, ce qui n'est pas toujours évident compte tenu de la complexité de certains dossiers, notamment en litige. D'où le soudain intérêt des avocats pour la gestion de projets.

Mais comment ça fonctionne au juste?

Prenons l'exemple d'une entreprise cliente qui se présente chez ses avocats parce qu'elle est visée par un recours collectif. Habituellement, le client aurait remis la requête à ses avocats, en aurait brièvement discuté et aurait acquitté les factures au fur et à mesure, sans jamais vraiment savoir pourquoi il paye. En LPM, on définit d'abord avec lui un plan dont la première étape pourrait être la période qui sépare le dépôt de la requête jusqu'à l'autorisation ou non du recours. Difficile de prédire le temps que cela prendra tellement les variables sont nombreuses. Mais en LPM, on peut au moins définir la stratégie d'ensemble, saisir toutes les données du litige, estimer le nombre et le degré d'expertise des avocats qui seront nécessaires en cours de route, déterminer si des opinions juridiques seront utiles et, si oui, lesquelles. Bref, on va avoir une idée du temps requis et des coûts.

Le LPM peut aussi fonctionner en transactionnel, explique Éric Gosselin, associé du groupe du droit des affaires de McCarthy, à Montréal. Ainsi, lors d'une acquisition, on peut découper la transaction en plusieurs étapes (négociation de la lettre d'intention, vérification diligente, rédaction et négociation des conventions, clôture avec suivi de la transaction), puis ventiler chacune des étapes en sous-étapes; là, on peut affecter des avocats selon leur champ de pratique et attribuer les responsabilités à chacun.

Gage de succès? Évidemment non, car il demeure toujours une part d'intangible dans toute activité humaine.

«La clé, au fond, c'est l'exécution, dit Jean-Pierre Bertrand. C'est là notre plus grand défi.»