En 25 ans, l'avocat Jean-Pierre Ménard est devenu la terreur des médecins et un messie pour des milliers de victimes du système de santé. Mais son cabinet est aussi un business florissant...

Eurêka! Quand Jean-Pierre Ménard a obtenu son barreau, en 1980, il s'apprêtait à devenir comme tous ses collègues universitaires: un avocat généraliste. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait pendant quelques années, c'était la mode à l'époque de toucher un peu à tout. Jusqu'à ce qu'un beau jour, il ait une idée qui allait complètement chambouler sa carrière et la vie de milliers de Québécois.

Dans le modeste cabinet où il pratiquait, il avait eu l'occasion de défendre quelques patients victimes d'erreurs médicales, et s'était rendu compte à quel point ceux-ci étaient désavantagés, en termes de moyens, vis-à-vis des médecins qu'ils poursuivaient, eux qui bénéficiaient d'un fonds sans fin grâce à leurs assureurs. C'est là que le jeune avocat s'est dit: «Mais, il y a plein de gens mal servis par le milieu juridique, comment peut-on les aider?»

En 1985, il a donc fondé, avec sa conjointe Denise Martin, Ménard, Martin avocats, cabinet spécialisé en droit de la santé, exclusivement dédié à la défense des victimes d'erreurs médicales. Il fallait du culot pour se lancer dans pareille aventure, tellement le déséquilibre à l'époque entre les victimes et les médecins était grand. Mais Jean-Pierre Ménard y croyait.

Un quart de siècle plus tard, on peut dire pari réussi! Car Ménard Martin est devenu une véritable PME en droit de la santé. Dix-sept avocats y pratiquent à temps plein, tous des pros détenteurs d'une maîtrise (ou sur la pointe de l'obtenir) en droit de la santé, qui déposent chaque année entre 150 et 200 poursuites en responsabilité médicale. Un quasi-monopole en fait, puisqu'aujourd'hui, la moitié de toutes les poursuites contre les médecins déposées au Québec transitent par ce cabinet.

«Jamais je n'aurais pensé que notre cabinet aurait autant d'impact sur le système de santé», dit Jean-Pierre Ménard, 56 ans, alors qu'il reçoit La Presse dans ses bureaux de Montréal. Il ne se gène d'ailleurs pas pour dire ce qu'il pense. Cette semaine, il a fait une sortie publique pour dénoncer, encore une fois, les problèmes dans les urgences: son cabinet représentait les familles de quatre patients ayant perdu la vie après avoir trop attendu aux urgences.

Il est vrai que l'action de cet avocat et de son équipe a joué un rôle important dans le rééquilibrage des forces. Alors qu'au début des années 80, à peine 30% des patients victimes d'erreurs médicales étaient indemnisées, plus de la moitié (55%) le sont aujourd'hui. Un taux de succès qui grimpe à près de 80% pour les patients clients de Ménard Martin.

Objectif: réduire les coûts

Le modèle de ce cabinet est construit autour d'un concept simple: la réduction des coûts. On veut permettre à toutes les victimes du système de santé d'obtenir justice, c'est-à-dire réparation. C'est pourquoi on a éliminé tout ce qui est superflu pour se concentrer sur l'essentiel. Le cabinet est situé rue Hochelaga, coin Viau, en plein coeur d'Hochelaga-Maisonneuve, plutôt qu'au centre-ville où les loyers sont inabordables. Ici, pas de planchers de marbre ni d'oeuvres d'art hors de prix accrochées aux murs. Le décor est tout ce qu'il y a de plus simple.

Les tarifs sont accessibles. Me Ménard demande 250$ l'heure. S'il pratiquait dans un grand cabinet du centre-ville, il pourrait facilement commander le triple, dit-il. Et puis, il a toutes sortes de formules possibles, selon les moyens des clients; à rétribution mensuelle, à forfait, par une couverture indirecte de l'aide juridique et, bien sûr pour ce genre de causes, une partie à pourcentage des dommages obtenus. Au Québec, dans les causes d'erreurs médicales, les dommages varient de quelques milliers de dollars à trois, voire quatre millions de dollars.

Mais c'est surtout sur le plan du processus judiciaire que le cabinet se démarque. Du début à la fin d'un dossier, tout est contrôlé de manière à réduire les coûts. Voici comment ça marche.

Un dossier commence généralement par un appel d'un patient qui se croit victime d'une erreur médicale. Un avocat de garde répond à tous les appels dans les 24 heures; c'est lui qui, au téléphone, écoute l'histoire du client puis évalue s'il vaut la peine d'aller plus loin. S'il juge que oui, alors on fixe un rendez-vous.

Cette première rencontre coûte 290$. Elle dure près de deux heures. L'avocat pose des questions, explore l'histoire, évalue les chances de succès et si les dommages sont importants, assez en tout cas pour qu'il vaille la peine de poursuivre.

À la suite de cette première évaluation, les avocats confient le dossier à une infirmière - qui travaille à temps plein pour le cabinet. Elle reconstitue l'histoire chronologique des faits. Son rapport est ensuite confié à l'évaluation d'un expert, généralement un médecin, pigé dans une banque d'experts professionnels, et qui acceptera de témoigner si jamais le dossier se rend à l'étape du procès.

L'évaluation de l'expert est primordiale. Car il doit déterminer si le médecin visé a effectivement commis une faute, dans le sens où il s'est écarté des règles de l'art. La majorité des fautes consiste en des erreurs de diagnostic, des fautes de suivi, des fautes d'exécution technique. «Un médecin peut se tromper sans nécessairement commettre une faute, explique Jean-Pierre Ménard. Ce qu'il faut déterminer, c'est s'il a suivi ou non les bonnes procédures.»

À ce point, les avocats de Ménard Martin émettent une opinion juridique. S'ils jugent qu'il y a eu faute et qu'ils estiment les dommages importants, alors ils déposent immédiatement une requête introductive d'instance. Les procédures judiciaires ont commencé...

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