Les vieux démons ensorcellent souvent les gens aux prises avec des difficultés en apparence insurmontables.

En économie, ces sortilèges revêtent les formes du protectionnisme, ou d'une monnaie faible.

Souvent efficaces à court terme, ils se révèlent très dangereux sur un plus long horizon. Ils découragent l'investissement et l'innovation tout en appauvrissant l'ensemble de la société.

Depuis longtemps, le Canada et le Québec ont exorcisé le protectionnisme, mise à part la funeste gestion de l'offre d'oeufs, de porcs et de poulets.

Nous sommes très favorables au libre-échange, d'un océan à l'autre, mais en particulier au Québec d'où sont venus les plus grands appuis à la conclusion d'accords avec les États-Unis, puis avec le Mexique.

La force relative de notre dollar ne suscite pas la même adhésion. Pourtant, elle est en bonne partie tributaire de notre commerce avec l'extérieur.

On lui reproche de trop fluctuer en relation avec les cours du pétrole et du gaz naturel, deux ressources rares au Québec, mais qui abondent dans l'Ouest, en Alberta en particulier.

À en croire certains, la force du huard ne reflète que la santé de l'économie albertaine. Elle nuirait au secteur manufacturier concentré en Ontario et au Québec.

Cet argument un peu court est aussi propagé par les écologistes parce qu'ils s'opposent coûte que coûte au développement des sables bitumineux et à la politique environnementale fédérale.

Vrai, l'extraction du pétrole bitumineux pollue. On pourrait en dire autant des jets privés dont un fleuron du secteur manufacturier québécois est le premier fabricant mondial, mais ce serait nourrir une polémique stérile.

Les exportations canadiennes d'énergie (et de métaux comme le cuivre, le nickel et l'or dont le sous-sol québécois regorge) créent une demande pour notre monnaie qui s'apprécie à mesure que leurs prix augmentent.

À l'exception des trois trimestres de récession, leurs prix ont progressé plus vite que ceux de nos importations.

Cette forme d'échange inégal nous enrichit tous parce qu'elle accroît notre pouvoir d'achat. Cela nourrit la consommation et stimule l'emploi.

Les ménages payent moins cher leurs fruits et légumes frais ou leur voiture. Les entreprises peuvent acheter davantage de biens industriels comme les ordinateurs alors que les hôpitaux ont peut-être enfin les moyens de moderniser leur équipement médical.

Les manufacturiers exportateurs déplorent plutôt la disparition de leur avantage concurrentiel lié à une monnaie faible depuis 2002. Cette année-là, notre dollar était descendu au niveau d'équivalence abyssal de 61,79 cents US.

Depuis, arguent-ils, le travail en usines disparaît à vue d'oeil.

C'est indéniable: il s'est perdu quelque 140 000 emplois manufacturiers au Québec depuis le sommet de novembre 2002. C'est plus d'un sur cinq.

Dans l'ensemble de l'économie, c'est une tout autre histoire: quelque 260 000 personnes de plus qu'en 2002 détiennent un emploi, malgré la récession.

L'appréciation de notre dollar force des adaptations structurelles, essentielles dans une économie ouverte, tout en les facilitant. Et ce, même dans des segments manufacturiers dont les difficultés ne peuvent être imputées à la seule vigueur soudaine du huard.

Ce sont plutôt la rareté de la matière ligneuse, le long litige sur le bois d'oeuvre et la crise du marché américain de l'habitation qui ont engendré les déboires de la foresterie. C'est l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce en 2001 qui prive les fabricants de vêtements, de textile et de meubles de pans entiers de leurs marchés traditionnels, dont celui du Québec.

Le huard n'est pas à l'origine du mal, mais son pouvoir d'achat accru crée des circonstances opportunes.

Ainsi, entre l'invasion de l'Irak en 2003 et juillet 2008, le prix du baril de pétrole est passé de quelque 30$US à plus de 140$US. Nos entreprises, mais pas les américaines, ont pu amortir le choc en partie, grâce à la poussée de notre monnaie. S'il avait fallu qu'elle équivaille à seulement 62 cents US en 2008, on n'ose imaginer les prix à la pompe quand ils ont dépassé 1,60$ le litre...