Le sujet est casse-gueule, politiquement parlant. Dès qu'un élu évoque l'idée que les Québécois puissent travailler à un âge plus tardif que 60 ou 65 ans, on lui prête des intentions tordues.

Le premier ministre Jean Charest a ainsi mis des gants blancs lorsqu'il en a parlé lors de la grande rencontre économique qui s'est tenue à Lévis en janvier. Son gouvernement, a-t-il pris soin de préciser, vise seulement à aider les employés vieillissants qui souhaitent garder un orteil ou un pied dans le marché du travail.

Plusieurs lui attribuent néanmoins l'intention d'enchaîner les Québécois à leurs machines ou à leurs bureaux. La galère, quoi.

Les travailleurs eux-mêmes sont aux antipodes sur la question. À un extrême se trouvent ceux qui ne peuvent concevoir la vie sans le travail.

Jean-Paul Castonguay, un boucher de Bromptonville, l'exemplifie. Cet homme de 87 ans se poste derrière le comptoir des viandes du IGA fondé par son grand-père de 7 à 13 heures, du lundi au... dimanche. «J'aime mon métier. J'aime mes vieux clients. À rien faire, le temps serait long», dit-il simplement.

À l'autre extrême se trouvent les Québécois qui ont trimé dur toute leur vie, par canicule comme par grands froids. Plusieurs de ces travailleurs au dos rompu et aux mains racornies rêvent d'un repos mérité. Même chose pour les salariés qui occupent un emploi répétitif, voire aliénant. Ils égrènent les heures et cochent les cases du calendrier avant leur départ à la retraite. Pour rien au monde ils ne resteraient au travail, à moins d'y être forcés financièrement.

Entre les deux, il y a une foule de travailleurs qui flottent. Des gens qui aiment ce qu'ils font mais qui ne veulent plus vivre avec le stress ou le trafic en heure de pointe. Des gens qui se sentent encore en pleine forme et qui ont une expertise à partager avec des plus jeunes. Des gens qui sont prêts à continuer, si seulement employeurs et gouvernements pouvaient faire preuve de flexibilité.

Ce sont ces travailleurs qu'il faut cibler, alors que le Québec est confronté à la décroissance de son économie avec la baisse imminente de sa population active. Les départs à la retraite ne sont plus compensés par l'arrivée de jeunes et d'immigrants sur le marché du travail. C'est d'autant plus vrai que les Québécois partent à la retraite à 60,2 ans, en moyenne, soit deux années plus tôt que les Canadiens dans leur ensemble. D'ici trois ans, le Québec devra ainsi combler 550 000 emplois.

Concilier le travail et la retraite? Reste à voir comment.

Le gouvernement a fait un premier pas en accordant un léger supplément à la rente des retraités qui travaillent, de l'ordre de 80$ par année, en moyenne. Il a aussi assoupli les règles des régimes complémentaires de retraite, afin de faciliter la retraite progressive des travailleurs, qui peuvent toucher une partie de leur salaire et de leur rente. Mais ce programme reste lourd d'application, de sorte que plusieurs employeurs préfèrent s'en passer.

Peut-être qu'avec la pénurie de travailleurs qualifiés qui s'annonce, la loi de l'offre et la demande fera son oeuvre. Les employeurs feront alors miroiter des salaires et des conditions assez reluisantes aux travailleurs expérimentés.

Entre-temps, toutefois, les gouvernements ne peuvent rester les bras croisés. À Québec comme à Ottawa. Le plus simple est encore de jouer avec la fiscalité, pour que les Québécois aient un intérêt financier à rester au boulot et qu'ils ne soient pas pénalisés parce qu'ils sont passionnés par leur travail.

Est-il dans l'intérêt de la société que les travailleurs âgés soient moins lourdement imposés que les autres? Il faut se poser la question.

Surtout, il faut voir autrement les travailleurs dans la soixantaine en montant. À cette époque où on préfère souvent la jeunesse à l'expérience, les entreprises doivent revoir leurs façons de faire. Pourquoi cesser de former les travailleurs, sous prétexte qu'ils sont vieux?

Ces préjugés sont renforcés par des règles bêtes comme celles qui éjectent les administrateurs des conseils d'administration des entreprises dès qu'ils atteignent l'âge de 70 ou de 75 ans. Il s'agit de la mauvaise solution à un autre problème, soit le taux de renouvellement trop peu élevé des conseils et la rareté de sang neuf.

En 2010, les travailleurs n'ont plus de date automatique de péremption.