«Vingt-deux mois pour avoir volé 50 millions? Pour avoir détruit les vies de combien de gens? C'est ridicule, une goutte d'eau dans un seau.» Cette réaction à chaud d'un des ex-clients d'Earl Jones à la sortie du tribunal reflète bien le sentiment général des victimes.

Tel que prévu, la juge Hélène Morin a avalisé la sentence proposée par les avocats de la Couronne et de la défense et imposé 11 ans de prison à Bertram Earl Jones. Toutefois, comme il s'agit d'un crime non violent, l'homme de 67 ans sera automatiquement admissible à une libération conditionnelle au sixième de cette peine, soit dans 22 mois.

«C'est moins long que le temps qu'il faudra pour redonner un sens à nos vies», a dit Ann Ross, qui a perdu des centaines de milliers de dollars dans cette affaire, soit l'héritage de son père, le peintre Graeham Ross.

Humiliation, pensées suicidaires...

La juge Morin dit comprendre que les victimes voudraient voir Earl Jones derrière les barreaux pour le restant de ses jours. Dans son jugement, elle rappelle d'ailleurs le choc subi par plusieurs: dépression nerveuse, insomnie, pensées suicidaires, humiliation, sentiment de culpabilité pour avoir été négligent, etc.

Certains le surnomment aujourd'hui le démon, le serpent, le prédateur financier. L'une des femmes victimes, J. D., a subi un double choc, raconte la juge Morin. Earl Jones a pris soin de ses finances après le décès de son mari, tué par le professeur Valery Fabrikant, en 1992, à l'Université Concordia. «Il n'a eu aucune pitié pour ses clients, peu importe leur âge et leurs besoins», a déclaré J.D.

La sentence ne repose toutefois pas sur la vengeance, dit la juge Morin. Elle est notamment fondée sur la loi et la jurisprudence. La peine maximale pour un tel crime est de 14 ans. Vincent Lacroix a eu une sentence de 13 ans pour avoir fraudé 9200 investisseurs d'une somme avoisinant les 100 millions de dollars. La sentence de 11 ans est donc appropriée, a-t-elle essentiellement expliqué.

Cette sentence est celle proposée après de longues négociations par l'avocat d'Earl Jones, Jeffrey Boro, et celui de la Couronne, Pierre Lévesque. En vertu d'un jugement précédent de la Cour d'appel, cité par la juge Morin, «le juge ne devrait pas rejeter les sentences proposées conjointement à moins qu'elles ne soient déraisonnables, contraire à l'intérêt public».

»Tourne-toi»

Dans le box des accusés, Earl Jones regardait par terre pendant toute la lecture de sa sentence, la mine piteuse. Au moment de quitter la salle, il s'est levé et a fait dos aux victimes.

Les investisseurs Kevin Curran et Bevan Jones - frère d'Earl Jones - lui ont alors crié: «tourne-toi», exigeant du financier qu'il regarde ses victimes en face. Earl Jones ne s'est jamais retourné et a pris le chemin de la prison.

«C'est une sentence Mickey Mouse. Il a ruiné des vies, s'est approprié 50 millions, a fait des achats coûteux, ça n'a pas de bon sens... Il a vécu comme un pacha», a déclaré à La Presse Bevan Jones, au cours d'un bref entretien.

Pendant 25 ans, Earl Jones a promis des rendements de 8 à 12% à ses clients, mais n'a jamais placé un cent de leurs fonds. Pour maintenir le navire à flot, le conseiller financier a falsifié des documents et menti à ses clients.

«Il savait qu'il vivait sur du temps emprunté, raconte la juge Morin. Il espérait qu'un gros client apparaîtrait et serait en mesure de rembourser les clients existants. Il y a quatre ou cinq ans, il a réalisé que le stratagème était un désastre total.»

Sa cible: des femmes

Ce sont finalement les récents scandales financiers qui ont coulé le navire. En effet, les investisseurs se sont mis à poser davantage de questions sur ses promesses de rendement, explique la juge.

Globalement, les victimes lui auraient confié 50 millions entre 1982 et 2009. Earl Jones se serait approprié 13 millions pour ses fins personnelles.

Le conseiller financier avait ciblé les femmes comme premières victimes. La juge Morin raconte que, durant les premières années, Earl Jones donnait des conférences sur la planification financière et les héritages au groupe Women in Finance.

«Dans ces années, selon l'accusé, 90% des femmes ne connaissait pas la finance et étaient laissées seules pour la planification de l'héritage», a dit la juge.

Hier, près d'une centaine de victimes étaient présentes, plusieurs très âgées. Un autobus avait été loué par le comité des victimes pour les transporter, mais les deux salles d'audience étaient trop petites pour les accueillir toutes.

La Couronne a par ailleurs refusé à l'une des membres du comité, Ginny Nelles, de faire une déclaration à la Cour avant le prononcé de la sentence.