L'avortement du procès Norbourg n'a surpris personne au sein de la confrérie des criminalistes montréalais.

Le juge à la retraite Bernard Grenier, qui a siégé 22 ans à la Cour du Québec avant de retourner à la pratique privée comme avocat criminaliste en 2002, est d'avis que la Couronne aurait pu simplifier le procès. «C'est facile de jouer au quart-arrière du lundi matin (Monday Morning Quarterback), mais on savait dès le départ que les jurés auraient de la difficulté à se sortir de tout ça, dit-il. Je me voyais présider ce procès et je m'arrachais le peu de cheveux qu'il me reste...»

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Les cinq coaccusés Serge Beugré, Jean Cholette, Félicien Souka, Rémi Deschambault et Jean Renaud faisaient face à 702 chefs d'accusation de fraude, de production de faux documents, de blanchiment d'argent et de complot. «C'est beaucoup d'occasions pour les jurés d'être en désaccord», dit Me Bernard Grenier, qui ne se rappelle pas d'un procès avec autant de chefs d'accusation dans l'histoire judiciaire du Québec.

Le criminaliste Jean-Claude Hébert estime aussi que la Couronne a mal évaluée l'ampleur des chefs d'accusation. «Aurait-on pu présenter la preuve de façon plus simple et plus pédagogique en utilisant seulement quelques chefs d'accusation? La question se pose, dit Me Hébert. La police fait son rapport, mais c'est la responsabilité du procureur de décider du nombre de chefs d'accusation et de s'assurer que les gens ne se perdent pas dans le dossier.»

Jean-Claude Hébert remet notamment en question la décision d'avoir porté des accusations de blanchiment d'argent et de complot. «Avec ces accusations, vous détournez l'attention des jurés sur ce qui n'est pas essentiel, dit-il. La fraude et la production de faux documents sont des accusations qui n'ont pas besoin d'une grosse explication.»

Professeure de droit criminel à l'Université de Montréal, Anne-Marie Boisvert doute aussi du choix stratégique d'avoir porté des accusations de blanchiment d'argent dans le dossier Norbourg. «À un moment donné, ça fait beaucoup d'accusations, dit-elle. Les accusations de blanchiment d'argent étaient-elles vraiment nécessaires?»

Selon Anne-Marie Boisvert, l'impasse dans le procès Norbourg est symptomatique d'un problème plus profond dans le système de justice criminelle: la tendance à vouloir punir tous les crimes commis par un accusé. «Il va falloir que le public réduise ses attentes face à la justice criminelle, dit-elle. Chaque victime pense avoir droit à sa condamnation. Peu importe le nombre de chefs d'accusation, les coupables vont être condamnés pour l'ensemble de leur oeuvre.»

À la décharge de la Couronne, un événement est venu compliquer sa tâche selon Jean-Claude Hébert: le plaidoyer de culpabilité de Vincent Lacroix. «En plaidant coupable, Vincent Lacroix a permis aux autres co-accusés de pelleter (la responsabilité) dans sa cour, dit-il. La Couronne n'avait pas prévu ce revirement de situation.»

 

Le jury, un droit constitutionnel

Pourquoi obliger 12 personnes à agir comme jurés pendant des mois dans un procès aussi compliqué que celui de Norbourg? Parce que la Charte canadienne des droits et libertés le veut ainsi. L'article 11 de la Charte garantit à tout accusé risquant au moins cinq ans de prison le droit à un procès avec jury. «Il faudrait absolument un amendement constitutionnel pour faire changer cette règle», dit le juge à la retraite Bernard Grenier, maintenant avocat criminaliste au cabinet Schurman Longo Grenier.