Il y a six ans, Alain Lemaire voulait se faire construire un garage. Aujourd'hui, le président et chef de la direction de Cascades se retrouve avec 400 fers à repasser, 350 sièges de tracteur, 100 lustres de couvent, 70 barattes et une collection de 10 000 objets anciens entreposés dans neuf camions (de 53 pieds!). Récit d'un projet qui a déraillé - au grand bonheur d'un nouveau collectionneur d'antiquités.
L'idée était simple, voire banale: construire un garage. «Ma femme, Mariette, était tannée de voir les autos dehors», dit Alain Lemaire.
Le grand patron de Cascades s'est mis à l'ouvrage. Sauf que, chez les Lemaire, on construit avec la même philosophie que l'entreprise familiale, qui fait des milliards (80% de son chiffre d'affaires de 4 milliards, pour être exact) en utilisant des matières recyclées.
Des exemples? Les planchers de la maison d'Alain et Mariette Lemaire, construite en 1974, sont en fait des billots du pont de Kingsey Falls, détruit dans les années 40. Les poutres du sous-sol servaient d'îlots pour la drave. La glacière à bière date de la même époque. À l'extérieur, de vieux sièges de tracteur remplacent les traditionnelles chaises pliantes au coin du feu. «Le modernisme, ce n'est pas dans ma palette», dit Alain Lemaire, qui a grandi à Drummondville dans une maison faite de matériaux réutilisés.
Alain Lemaire voulait donc un garage décoré à son goût: à l'ancienne. Lentement mais sûrement, il s'est mis à la recherche d'objets anciens au Québec et aux États-Unis. La construction du garage devait prendre deux ans. Six ans plus tard, il ne désespère pas et compte inaugurer son garage au printemps prochain. Un retard dont le chef d'entreprise, pourtant habitué aux échéanciers trimestriels d'une société inscrite à la Bourse, rit de bon coeur. «Les antiquités ont pris le dessus sur le garage, dit-il. J'ai dû ralentir depuis deux ans. Mariette trouvait que je passais plus de temps sur les antiquités que pour planifier les vacances familiales. Il faut être raisonnable dans la vie, surtout après 39 ans de mariage.»
Malgré ce «ralentissement», sa collection d'antiquités - évaluée à «plusieurs centaines de milliers de dollars» selon le principal intéressé, qui n'aime pas parler d'argent - ne cesse de s'agrandir. Il a environ 10 000 pièces entassées à l'intérieur de neuf gros camions garés en permanence à l'entrepôt de Cascades à Kingsey Falls.
La pièce maîtresse de sa collection d'antiquités? Ses 550 grilles en fonte - son métal fétiche -, qui forment l'une des plus grandes collections du genre au Québec. « Avant l'aluminium et le plastique, tout était fait en fonte «, explique Alain Lemaire, qui n'a aucun intérêt pour les vieux meubles. Sa plus grande extravagance? Un poêle à 2500$. «Quand tu as une collection éparpillée comme la mienne, tu peux toujours trouver des objets à bon prix, dit Alain Lemaire. Je ne suis pas un collectionneur spécialisé. Pour moi, c'est la quantité qui compte, pas la qualité.»
Alain Lemaire, 62 ans, prend au moins une demi-journée par semaine pour assouvir sa passion des antiquités, en personne chez des antiquaires ou en ligne sur eBay. Il passe aussi quelques week-ends par année dans des expositions d'antiquaires aux États-Unis. Dans ces moments-là, il décroche complètement du cours du papier, des dépenses trimestrielles extraordinaires et des fluctuations du titre de Cascades, l'un des success story cette année à la Bourse de Toronto.
«Cette passion pour les antiquités m'a étonné moi-même, avoue-t-il. Je me suis fait embarquer, mais ça me permet d'avoir plus d'équilibre dans ma vie. Les affaires m'accaparent beaucoup et ce n'est pas mal d'avoir des échappatoires. Je ne fais pas de sport, je ne lis pas, les enfants sont grands maintenant, je vais parfois au cinéma mais c'est tout. Je m'amuse avec mes antiquités. Ça me garde les deux pieds sur Terre.»
Sa passion lui a aussi donné son premier projet de retraite: une grange-musée où il exposerait sa collection. Le projet est embryonnaire, mais il a déjà trouvé le lieu, sur la propriété de Cascades, à Kingsey Falls.
Dans l'immédiat, son garage, à l'étage duquel il y aura des chambres, lui permettra d'exposer le dixième de sa collection. Ses invités vivront à travers ses vieux radiateurs en fonte, son réfrigérateur des années 30, son bain datant de l'an 1900 qu'on a pu voir à l'émission La Petite Séduction l'été dernier à Radio-Canada, ainsi que quelques-uns de ses 100 lustres de couvent et 70 barattes.
Depuis quelques mois, Alain Lemaire s'éparpille moins dans ses achats. Il se spécialise dans les toupies, les tricycles, les traîneaux, les jarres à bonbons et autres objets pour enfants. Le collectionneur veut d'abord divertir ses petits-enfants, âgés de 4 et 6 mois. Fin renard, il espère aussi transmettre sa passion des vieilles choses à la prochaine génération de Lemaire.
Pour joindre notre journaliste : vincent.brousseau-pouliot@lapresse.ca
Les antiquités d'Alain Lemaire
10 000 pièces au total
550 grilles de plancher, de plafond et de cheminée
400 malaxeurs à viande
400 fers à repasser
350 sièges de tracteur
300 sabots de cordonnier
300 poulies
100 vérins
100 lustres de couvent
100 chariots à foin
80 grille-pain
70 barattes
60 ventilateurs
60 fourches à foin
50 essoreuses manuelles
50 distributeurs de papier
40 arrosoirs en fonte
40 bancs d'école
30 chaufferettes
20 aiguisoirs à scie
20 dénoyauteurs
20 séchoirs à linge
15 malles
8 laveuses