Écrasé par les dettes, le groupe de presse Canwest (T.CGS) a demandé hier la protection des tribunaux pour faire le ménage de ses finances à l'abri de ses créanciers. Mais malgré le ton rassurant adopté par la direction, les analystes donnent un avertissement : la vente d'actifs est loin d'être exclue.

Le groupe, qui possède notamment la chaîne de télévision Global, le journal montréalais The Gazette et le quotidien The National Post, a placé hier plusieurs de ses filiales sous la loi de la protection contre les créanciers question de s'attaquer à l'important problème d'endettement qu'il traîne depuis plusieurs années.

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« Il ne s'agit pas d'une faillite », a insisté le grand patron, Leonard Asper, dans une note envoyée aux employés. M. Asper assure que les licenciements massifs et les ventes d'actifs ne sont pas au programme.

Iain Grant, analyste en télécommunications au Seabord Group, ajoute toutefois un bémol à ses propos. C'est que, selon la restructuration annoncée hier, les actionnaires actuels ne recevront que 2,3 % des actions de la nouvelle entreprise. Bref, la famille Asper, qui a fondé et toujours dirigé Canwest, a perdu le contrôle de l'entreprise au profit de ses créanciers.

« Leonard Asper a beau se montrer rassurant, ce n'est pas nécessairement lui qui aura le dernier mot», lance M. Grant.

L'annonce d'hier a donné bien du fil à retordre à ceux qui tentaient d'en saisir tous les tenants et aboutissants.

C'est que si un journal comme The Gazette échappe à la restructuration, le quotidien The National Post et la chaîne de télévision Global, eux, sont visés par l'annonce.

Canwest a en effet ciblé des unités d'affaires (elles représentent environ 30 % des revenus) qui seront protégées des créanciers. La liste inclut les chaînes de télévision canadiennes comme Global et Déjà View ainsi que le quotidien The National Post.

Toutes les chaînes spécialisées acquises d'Alliance Atlantis en 2007 et tous les quotidiens à l'exception du National Post (ce qui inclut The Gazette, The Calgary Herald et The Vancouver Sun) ne sont pas concernés par l'annonce d'hier.

Pourquoi procéder ainsi ? En gros parce que chaque filiale possède ses propres dettes et ses propres créanciers.

Le groupe de journaux dont fait partie The Gazette fait d'ailleurs l'objet de négociations spéciales avec ses propres créanciers. « Avec des dettes d'environ 1,3 milliard, je m'attends à voir les journaux se placer sous la protection des créanciers à leur tour très bientôt », a confié un analyste.

Iain Grant, analyste au Seaboard Group, croit quant à lui que la vente du National Post « fait partie des scénarios possibles ».

Une entreprise « trop agressive »

Si les détails de la restructuration annoncée hier sont complexes, ses causes, elles, sont limpides : Canwest croule sous les dettes.

Canwest a acquis à gros prix plusieurs actifs au cours de la dernière décennie, dont un groupe de quotidiens achetés pour 3,2 milliards à Hollinger International en 2000 et l'entreprise Alliance Vivafilm acquise avec la banque Goldman Sachs pour 2,3 milliards en 2007.

L'erreur de Canwest, expliquent les analystes, est d'avoir négligé la dette quand l'économie roulait à plein. Le groupe a vu arriver la récession plombé par un boulet de 3,8 milliards, et a été incapable en mars de s'acquitter d'un versement d'intérêt.

« Il n'y a aucun doute que dans cet environnement, Canwest avait trop de dettes », a d'ailleurs admis hier Leonard Asper dans la note rédigée à ses employés.

Canwest a bien tenté de renverser la vapeur en vendant sa participation dans Ten Holdings (réseau de télé australien) pour 634 millions récemment, mais c'était « trop peu, trop tard «, dit l'analyste Iain Grant.

La suite ? Canwest s'est entendu avec ses créanciers pour obtenir un financement de 100 millions qui lui permettra de poursuivre ses activités pendant la restructuration. L'entreprise dit avoir besoin de 65 millions de plus. Le patron Leonard Asper est prêt à verser 15 millions de sa poche à certaines conditions ; l'entreprise croit pouvoir émerger du processus d'ici quatre à six mois.

« Je ne crois pas que ce soit le début de la fin. Je crois que tous les actifs vont rester, et vont rester sous la propriété de Canwest «, a dit un analyste.

Iain Grant, du Seaboard Group, est loin d'en être sûr alors qu'on ne connaît ni les futurs propriétaires de l'entreprise, ni leurs intentions. « La balle a été lancée, et elle est en l'air présentement », dit-il.

Chez Canwest hier, c'était silence radio. Aucun porte-parole n'a répondu aux appels de La Presse.