Earl Jones ne se gênait pas pour puiser dans le compte général de ses clients, peu importe la façon. Ainsi, le 28 novembre 2007, le soi-disant conseiller financier s'est présenté à la Banque Royale pour y retirer 369 000$... comptant.

Au fil de son enquête, le syndic Gilles Robillard, de RSM Richter, découvre des éléments à faire dresser les cheveux sur la tête. Le rapport qu'il présentera aux victimes, la semaine prochaine, fera notamment état de ces «cash withdrawals» (retraits comptants).

 

En plus de ces 369 000$, indique M. Robillard, Earl Jones a également fait un autre retrait de 170 000$ comptant, un peu plus tard. À ces deux sommes s'ajoutent des retraits fréquents de 5000$ à 20 000$ faits au guichet automatique, toujours dans le compte «Earl Jones in Trust» de la Banque Royale.

Ce compte en fidéicommis d'Earl Jones est celui dans lequel aboutissait l'argent des présumées victimes, la plupart du temps, et dans lequel Earl Jones puisait allègrement, nous dit M. Robillard.

Earl Bertram Jones se servait de ce compte pour payer de nombreuses dépenses, qu'il s'agisse de sa voiture ou de son condo, par exemple. Certaines années, il y a puisé jusqu'à 1 million de dollars pour ses propres besoins, selon M. Robillard.

Joint au téléphone, le porte-parole de la Banque Royale, Raymond Chouinard, confirme qu'un retrait de 369 000$ a bel et bien été fait en novembre 2007. Il précise cependant que «la mention cash withdrawal ne signifie pas nécessairement un retrait d'argent en espèces. Ce peut être une traite bancaire ou un transfert électronique», dit-il.

Aucun registre comptable

Quoi qu'il en soit, la présumée fraude ne ressemble en rien à certains scénarios déjà vus, où l'instigateur pose des gestes malencontreux pour «tenter de se refaire après que certains placements aient tourné au vinaigre», dit Gilles Robillard.

«Earl Jones a joué avec l'argent de ses clients depuis les années 80, comme si c'était le sien. Déjà en 1987-1988-1989, il puisait dans le compte en fidéicommis. Certains chèques ont alors été faits au nom de sa femme», explique le comptable de RSM Richter, qui a également géré le dossier de Norbourg.

La tâche de l'équipe de RSM Richter s'avère ardue, étant donné l'absence de tout registre comptable détaillant les transactions d'Earl Jones pour chaque client. «Il n'y a pas de registres. Tout est pêle-mêle», dit M. Robillard.

Pour s'y retrouver, le syndic a fait parvenir des lettres à 93 institutions financières ou sociétés de placement dans lesquels des fonds des clients ont transité à un moment ou un autre.

À ce jour, Richter a passé en revue les transactions bancaires du compte en fidéicommis d'Earl Jones à la Banque Royale pour les années 2007 à 2009 et 1987 à 1999. Les années subséquentes à 1999 suivront.

Des transferts aux Bermudes

À la lecture de ces transactions, le syndic a notamment constaté que des fonds ont été transférés en Irlande et dans le paradis fiscal des Bermudes, à la fin des années 90. Aux Bermudes, les transferts se sont élevés à plusieurs centaines de milliers de dollars, indique M. Robillard.

Le syndic estime qu'il ne reste pas de fonds en Irlande. Quant aux transferts à la Bank of Bermuda, une filiale de HSBC, il est plus difficile d'y voir clair, puisqu'il faut généralement l'approbation d'un tribunal local pour avoir le portrait d'un compte, comme le veulent les règles régissant le secret bancaire des paradis fiscaux.

Dans les jours suivant la tutelle de l'entreprise de M. Jones, l'analyse des documents laissait croire que les fonds des successions n'avaient aucunement été placés en Bourse, dans des fonds communs ou dans quelque autre véhicule de placement. Depuis, le syndic a retrouvé certains comptes de placement où des fonds sont disponibles, sans être «très substantiels».

Sur la centaine de présumées victimes, il appert que sept ou huit comptes de placement sont «clairement identifiables» à des clients précis, dans des comptes en fidéicommis. Tout indique que l'argent qui s'y trouve sera donc versé à ces clients plutôt qu'à la masse des créanciers.

Cela dit, le syndic a toutes les misères à constituer une liste de créanciers, étant donnée l'absence de registre. RSM Richter a transmis des avis de réclamations à quelque 200 à 250 parties qui ont fait affaire de près ou de loin avec M. Jones au fil des années.

L'assemblée des créanciers de la semaine prochaine permettra de nommer des inspecteurs à la faillite de la Corporation Earl Jones, conseiller administratif. Le syndic pourra ensuite obliger Earl Jones à témoigner, en vertu de la Loi sur la faillite.