La restructuration du marché du papier commercial est l'oeuvre de centaines d'avocats. Mais un seul ressort du lot. Voici le conseiller juridique de l'année.

Un peu plus et le Québec repartait bredouille de la soirée des Prix des conseillers juridiques du Canada qui a eu lieu lundi dernier, à Toronto. Pour l'occasion, plus de 450 avocats de partout au pays s'étaient réunis pour un somptueux banquet et récompenser les meilleurs avocats d'entreprises. Une soirée des Oscars pour avocats, en quelque sorte.

À voir les gros canons du droit des affaires présents dans la salle de réception du Four Seasons Hotel, nul doute que l'événement revêt un certain cachet: Norman Steinberg et Pierre Bienvenu, les patrons d'Ogilvy Renault, Michel Brunet, le président de FMC, Brian Levitt, le coprésident d'Osler, Pierre Raymond, le président du conseil de Stikeman... Normal, les conseillers juridiques d'entreprises sont les principaux clients des grands cabinets d'avocats; presque tous, donc, avaient délégué leurs meilleurs éléments.

Depuis cinq ans, ces Prix sont organisés conjointement par le National Post et la firme de recrutement juridique ZSA. Cette année, 26 finalistes se disputaient les honneurs dans sept catégories. Trois Québécois avaient la possibilité de repartir avec une statuette, mais aucun n'a malheureusement remporté la palme dans sa catégorie respective.

Martine Turcotte, de BCE, s'est fait coiffer par Karima Bawa, la VP, Affaires juridiques de Research In Motion, dans la catégorie Gestion de Litige. Claude Bergeron, de la Caisse de dépôt, et Sean Finn, du CN, dans la catégorie Accomplissement, stratégie d'affaires se sont quant à eux inclinés devant Christopher Montague, de la Banque TD.

En fin de soirée, il ne restait plus qu'un seul prix à remettre, le plus convoité, Conseiller juridique de l'année, mais les chances étaient minces qu'il aboutisse au Québec, vu qu'aucun des trois ne s'était démarqué dans sa propre catégorie.

Et bien, surprise!

Car le meilleur conseiller juridique au Canada en 2009 s'appelle Claude Bergeron. Le jury l'a récompensé pour son rôle dans la restructuration du papier commercial, les fameux PCAA, dont la Caisse de dépôt fut l'un des principaux investisseurs en 2007.

«Je n'y croyais plus!» a admis à La Presse le grand gagnant de la soirée, quelques minutes après avoir reçu son prix. Il explique qu'après avoir échappé le prix précédemment, il ne pensait pas remporter celui-là.

Claude Bergeron, 51 ans, est un avocat bien connu dans le milieu juridique montréalais. Il est le vice-président principal et responsable des affaires juridiques de la Caisse, le grand patron des avocats du département juridique de l'institution, qui en compte une dizaine.

Le grand public, lui, a fait sa connaissance il y a quelques semaines, alors qu'il a passé quelques jours à se faire bombarder de questions par l'opposition devant la commission parlementaire spéciale sur les pertes historiques de la CDP en 2008.

Si le jury l'a élu conseiller juridique de l'année, ce n'est certes pas pour les 40 milliards de dollars perdus de la Caisse - comme avocat, il n'a rien à voir là-dedans -, mais pour son rôle dans la restructuration du marché des PCAA, une affaire d'une complexité inouïe, selon à peu près tous les experts juridiques.

«C'est le dossier le plus complexe de toute ma vie», confirme d'ailleurs le principal intéressé, au lendemain de sa victoire, lui qui en a pourtant vu d'autres en 21 ans à la Caisse, ayant notamment travaillé sur l'OPA de Steinberg et sur la bataille épique entre Roger et Quebecor pour le contrôle de Vidéotron.

Gestion de crise

Son implication dans les PCAA commence le 12 août 2007. En vacances dans la région de Charlevoix, il reçoit un appel de Richard Guay, le futur PDG déchu de la Caisse alors chef de la direction du placement, qui lui demande de rentrer de toute urgence. Quelques jours plus tôt, le marché des PCAA avait soudainement cessé de fonctionner, les émissions ne trouvant plus preneurs.

Il rentre donc aussitôt à Montréal et participe avec les dirigeants de la Caisse à une réunion extraordinaire. On discute de l'ampleur du problème, on élabore une solution. Le 14 août, Henri-Paul Rousseau convoque les banquiers internationaux, rencontre qui aboutit à ce qu'on a appelé «l'Accord de Montréal». En gros, les parties acceptent de ne pas se poursuivre l'une et l'autre durant une période déterminée - accord qui, on le sait maintenant, a été continuellement renouvelé.

Dès le 6 septembre, le comité Crawford est mis sur pied avec le mandat de restructurer le marché des PCAA. À ce moment, Claude Bergeron a un rôle important, mais encore effacé, car c'est Henri-Paul Rousseau qui mène la barque. Il n'empêche, Claude Bergeron participe à toutes les réunions du comité; il y en a eu plus de 70 durant le processus, des réunions de quelques heures, mais qui parfois pouvaient durer deux jours.

Entre temps, Claude Bergeron retient les services du cabinet Ogilvy Renault, dont le rôle sera de réviser systématiquement tous les documents juridiques. Et Dieu sait qu'il y en aura, des documents, à mesure que les négociations avancent. «Plus d'un pied et demi de hauteur!» dit Claude Bergeron, qui les a presque tous lus. Il évalue d'ailleurs les frais juridiques de la Caisse dans ce dossier à plus cinq millions de dollars, en comptant la part que l'institution a dû débourser pour payer les honoraires des avocats du comité.

D'avocat à financier

Son rôle va toutefois changer du tout au tout lors du départ d'Henri-Paul Rousseau en août 2008. D'avocat-conseil, il devient soudainement le représentant numéro un de la Caisse auprès du comité Crawford et doit se métamorphoser en financier de haut vol. Ça tombe bien, car il va pouvoir mettre en pratique ce qu'il est en train d'apprendre aux HEC, puisque durant tout le temps de la restructuration, il réussi à compléter un MBA-FSI (Financial service and insurance)!

Mais les choses se gâtent rapidement. En octobre 2008, survient la crise financière qui entraîne la chute de plusieurs institutions financières, dont Lehman Brothers. Gros problème, car les banques internationales veulent renégocier l'entente. Tout est remis en question.

Claude Bergeron amorce donc des contacts directs avec les représentants des grandes banques internationales: Deutsche Bank, Merrill Lynch, HSBC, etc. Plusieurs fois par semaine, il est à Toronto ou à New York pour négocier avec ces grands manitous de la finance internationale. Il discute aussi avec les représentants de la Banque du Canada et des gouvernements fédéral et provincial. Le 21 janvier 2009, une entente finale est finalement conclue.

«Je travaillais tout le temps, même les fins de semaine», admet ce papa qui, durant cette période, n'a pas vu souvent ses enfants, deux couples de jumeaux!

Pendant qu'il négocie avec le comité, les investisseurs et les banques canadiennes et internationales, Claude Bergeron surveille une autre bataille qui elle, se déroule sur un autre front. Un groupe d'investisseurs conteste en effet le plan de restructuration de 32 milliards et tout ce beau monde se retrouve en cour. L'affaire ne prend fin qu'en septembre 2008, lorsque la Cour suprême refuse d'entendre la cause des contestataires.

Si la restructuration a été d'une complexité inimaginable, la stratégie de Claude Bergeron, elle, a été toute simple, et ce, depuis le début. On peut la résumer en un mot: communication. Pas de grand plan compliqué, ni de stratégie abracadabrante, juste l'intime conviction que la solution du problème se trouve quelque part dans la conciliation. «L'idée maîtresse, c'était de convaincre», dit-il.

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