Les Russes commençaient tout juste à prendre confiance en l'économie de marché. Après la difficile première décennie post-communiste, le pays voyait pour la première fois de son histoire se former une classe moyenne avec un pouvoir d'achat considérable. Elle retombe aujourd'hui sur terre.

Il y a un an, Viatcheslav Axionov votait pour Dmitri Medvedev, le successeur désigné de Vladimir Poutine à la présidence de Russie. Tout ce que voulait ce tourneur-fraiseur de 35 ans, c'était que le pays continue sur sa lancée - croissance de 8,1% en 2007 - pour qu'il puisse réaliser son plan de vie personnel.À l'été, Viatcheslav contractait un prêt en dollars américains dans une banque. Le rouble avait rarement été aussi fort face au billet vert, à 23,7 contre un. Comme des millions de Russes, il profitait aussi du fait que les banques s'étaient mises à offrir depuis quatre ans des prêts à des taux décents, créant un véritable boom du crédit partout au pays.

En jumelant son prêt à ses économies des 10 dernières années, il s'est acheté un modeste appartement d'une pièce en banlieue de Moscou. Une fois les rénovations terminées, sa femme et lui pourraient enfin quitter le deux pièces transformé en trois qu'ils occupaient avec cinq autres membres de sa famille.

«Nous avions des buts, des salaires de plus en plus élevés. Nous croyions tous que ça continuerait comme ça, que notre pays deviendrait finalement un pays autonome. À la télévision, on nous disait que nous étions forts», se rappelle Viatcheslav.

Espoirs envolés

Depuis, les choses ont bien changé. En août, quelques jours après avoir reçu l'argent de son prêt, la Russie et la Géorgie entrent en guerre. Rapidement, les capitaux étrangers commencent à déserter le pays. Début septembre, les deux indices boursiers de Moscou s'effondrent. Après un sommet à plus de 140 dollars durant l'été, le prix du baril de pétrole dégringole. L'économie russe, fortement dépendante des hydrocarbures, le suit dans sa chute.

En novembre, le gouvernement n'a d'autre choix que de dévaluer sa monnaie, longtemps soutenue artificiellement par rapport au dollar et à l'euro.

À l'image du pays, la situation financière de Viatcheslav s'est gravement détériorée. Il se compte chanceux de ne pas avoir perdu son travail, contrairement à près d'un million et demi de Russes depuis l'été. Mais en raison de la baisse du carnet de commandes de son entreprise, son salaire mensuel est passé de 52 000 à 35 000 roubles. En dollars, avec la dévaluation, il a ainsi vu ses revenus chuter de plus de 2000$ à un maigre 1000$. Son prêt, lui, est toujours payable en dollars, au taux actuel de 35,1 roubles pour un dollar.

«Au début, les remboursements représentaient moins de 40% de mon salaire. Aujourd'hui, c'est près de 100%», constate celui qui deviendra père dans moins de deux mois. «Ma grand-mère me donne de l'argent pour meubler le nouvel appartement et je l'utilise pour payer mon prêt.»

Viatcheslav est maintenant en croisade contre les banques. Avec d'autres emprunteurs, il estime que les institutions financières étaient obligées légalement de fixer un taux de change lors de la signature du contrat.

L'analyste Evgueni Nadorchine, de la banque Trust, réfute l'argument de Viatcheslav Axionov. «Ceux qui ont pris un crédit en dollars devaient comprendre qu'il y avait un risque. À l'époque, ils ont profité du dollar faible, maintenant ils voient l'autre côté de la médaille», tranche-t-il.

Il souligne toutefois que les prêts en devises étrangères ont surtout été contractés à Moscou et Saint-Pétersbourg et ne représentent qu'une partie des emprunts.

M. Nadorchine croit surtout que ce sont la baisse des salaires et le haut taux d'inflation liés à la crise qui risquent de donner un dur coup. Les classes supérieures et moyennes, grandes gagnantes de la croissance économique des dernières années et qui représentent aujourd'hui environ 20 à 30 % de la population selon les estimations, en seront les premières affectées.

«[Leur mauvaise situation] pourrait devenir une menace pour la stabilité sociale du pays», prédit-il.

Viatcheslav Axionov acquiesce. «Même si à la base, nous sommes loin de la politique, nous serons obligés de nous impliquer. Nous étions la masse inerte sur laquelle se fondait l'État. Et maintenant, nous nous réveillons.»

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21,3%

Le pourcentage de Russes affirmant avoir subi une baisse de salaire depuis le début de la crise l'automne dernier.

-2,2%

Le taux de décroissance du PIB envisagé pour 2009, après une croissance de 5,6% en 2008.

-30%

La chute des revenus de l'État russe en 2009.