Parlez aux autorités de l'arrondissement de Saint-Laurent, ou à la Chambre de commerce, ou au commissariat industriel. Une des premières choses qu'on vous apprendra est que Saint-Laurent compte 110 000 emplois pour une population totale de 85 000 résidants. Wow! Essayez de trouver pareil ailleurs au Canada!

Un regard sur le plan de Saint-Laurent (municipalité fusionnée à Montréal en 2002) est d'ailleurs révélateur à ce sujet: les zones industrielles, en bleu sur l'illustration, l'emportent largement sur les zones résidentielles, en rouge.

Au premier coup d'oeil, Saint-Laurent semble donc jouer le rôle d'un véritable pôle de prospérité.

Une analyse plus serrée montre que les chiffres concernant l'arrondissement lui-même sont beaucoup moins brillants. Selon les données du recensement de 2006, le revenu médian à Saint-Laurent est de 20 178$, contre 24 430$ pour l'ensemble du Québec. Le taux de chômage à Saint-Laurent est de 45% plus élevé que dans le reste du Québec.

Comment expliquer ces écarts?

La proportion d'immigrants à Saint-Laurent dépasse les 48% (contre une moyenne de 12% au Québec), et la plupart des nouveaux venus proviennent de pays pauvres.

D'autre part, le taux de chômage est calculé selon le lieu de résidence, non le lieu de travail. Ainsi, les nombreuses entreprises établies à Saint-Laurent fournissent de l'emploi aux résidants des autres arrondissements de Montréal, de Laval, et même de la Montérégie.

En ce sens, et même si sa population est moins riche, Saint-Laurent fait figure d'authentique dynamo de l'économie régionale.

Ce rôle de locomotive, elle le doit en grande partie à un personnage légendaire, Marcel Laurin, maire de la ville de 1959 à 1990. L'ancien boulevard Laurentien, une des grandes artères de la ville, a d'ailleurs été rebaptisé pour honorer sa mémoire.

Pendant ses 31 années à la mairie, M. Laurin multipliera les efforts pour attirer les entreprises dans le parc industriel de la ville.

Deux facteurs en sa faveur

L'espace > En 1960, sur les 33 municipalités de l'île de Montréal, Saint-Laurent est la deuxième en superficie. Elle fait près de sept fois la ville de Verdun (excluant l'Île-des-Soeurs, pratiquement déserte à l'époque), quatre fois Montréal-Nord. Et seulement une petite partie de cette étendue est bâtie. La ville mettra cette abondante réserve foncière à profit pour convaincre les entreprises de s'installer à des conditions avantageuses sur son territoire.

L'emplacement > La construction de l'autoroute Métropolitaine fait de Saint-Laurent un point de jonction idéal entre Montréal et le marché ontarien (Boucherville, à l'entrée de Montréal en provenance de Québec, profitera de conditions semblables). En outre, Saint-Laurent est à proximité de l'aéroport de Dorval. Dans ces conditions, on comprend que de nombreuses entreprises se soient laissées séduire.

Les progrès sont fulgurants. Dès la fin des années 60, Saint-Laurent peut se targuer, pour le nombre d'entreprises et d'emplois, d'être la deuxième ville industrielle du Québec.

Aujourd'hui, l'arrondissement compte près de 3000 entreprises, dont plusieurs grands noms dans des secteurs de pointe comme l'aéronautique (Bombardier, CAE, Air Canada, CP Tech, Technimeca), les technologies de l'information (CMC Électronique, Telus Mobilité, Rogers, Alstom) et pharmaceutique (Bristol-Myers Squibb, Laboratoires Abbott, McKesson, Wyeth, MDS Pharma).

Et ce n'est pas fini. Dans ce Portfolio, ma collègue Caroline Rodgers nous apprend qu'une zone de trois millions de pieds carrés sera réservée dans le Technoparc pour y accueillir exclusivement des entreprises spécialisées dans les technologies propres. Les premières entreprises devraient s'y installer dès cet automne. Une fois complété, le complexe comprendra huit bâtiments d'une superficie totale de 750 000 pieds carrés.

Autre nouvelle digne d'intérêt: juste à côté, la Ville de Montréal aménagera un vaste parc écologique de 2,8 millions de pieds carrés.

Le développement de l'arrondissement de Saint-Laurent s'est fait très rapidement à partir des années 60, de sorte que l'on pourrait croire qu'il s'agit d'une ville neuve créée de toutes pièces par le maire-promoteur Marcel Laurin.

En fait, Saint-Laurent a une très longue histoire. Dès le début des années 1680, une quarantaine d'années après la fondation de Ville-Marie, des colons français s'installent sur le territoire qui forme aujourd'hui l'arrondissement de Saint-Laurent. Une première chapelle en bois sera construite exactement sur l'emplacement actuel du Centre Rockland, et la paroisse de Saint-Laurent sera officiellement érigée en 1720. Le peuplement est lent. Au tournant des années 1800, la paroisse compte moins de 3000 habitants.

Au XIXe siècle, Saint-Laurent prend rapidement de l'importance, dans la foulée du développement rapide de Montréal. Elle reçoit une charte municipale en 1893 et en 1950, elle est devenue une grosse municipalité de banlieue, comprenant encore à l'époque de vastes zones agricoles. Cette année-là, Saint-Laurent accueille une nouveauté pour l'époque, le premier centre commercial couvert en Amérique du Nord, le Norgate Shopping Center.

On a vu comment, dans les années suivantes, la ville est devenue la dynamo industrielle qui fournit aujourd'hui des dizaines de milliers d'emplois à la région montréalaise.