Quelle est la qualité du travail des avionneurs et sous-traitants chinois? La question s'impose, alors qu'un rappel de produits Made in China n'attend plus l'autre.

En fait, la faute revient plus souvent aux designers occidentaux qu'aux manufacturiers chinois qui emplissent les conteneurs. En raison d'un travail de conception vicié, les importateurs seraient responsables de 76% des 550 rappels répertoriés aux États-Unis depuis 1988, révèle une étude des universitaires canadiens Hari Bapuji et Paul Beamish. Il n'empêche que l'aérospatiale n'autorise aucun défaut!

Si Bell Helicopter Textron est mécontente de la lenteur avec laquelle son fournisseur Hafei Aviation se familiarise avec ses procédés, Embraer juge que les travailleurs de cette même entreprise de Harbin travaillent aussi bien que ses employés brésiliens.

Même son de cloche de Bombardier, qui est satisfaite du travail de son sous-traitant Shenyang Aircraft Corporation (SAC), même si elle a été étonnée au départ de la jeunesse de ses travailleurs. SAC a d'ailleurs passé avec succès sept inspections de la Federal Aviation Administration (FAA), l'agence américaine qui veille à la sécurité du transport aérien, affirme Pang Zhen, grand patron des activités civiles.

Il reste que la formation des travailleurs et des ingénieurs chinois est fort différente, comme en témoigne Jean Dorey, directeur de l'École centrale de Pékin, affiliée à l'Université Beihang. Comptant 23 000 étudiants, cette université située au nord-ouest de la capitale est la plus réputée au pays en aérospatiale.

Originaire de Lyon, Jean Dorey pilote depuis 2005 un nouveau programme visant à former des ingénieurs généralistes. À la fin de six années de cours donnés en chinois et en français, les étudiants ressortiront avec un masters de Beihang et un diplôme d'ingénieur français en poche.

Le choc culturel entre les deux systèmes d'éducation dépasse largement l'apprentissage d'une langue seconde pour les étudiants qui viennent de France et de Chine. «Le français est perçu comme un outil de travail pour les Chinois, alors que c'est un vecteur culturel qui apporte une ouverture d'esprit et un sens critique, dit Jean Dorey, dont le bureau surplombe le campus d'une centaine d'hectares, embrumé ce jour-là par le smog.

«Quand on demande aux étudiants chinois de faire une simple rédaction sur un sujet - thèse, antithèse, synthèse -, c'est la panique. En Chine, il n'y a qu'une seule réponse à une question. Les Chinois sont très intelligents, ils travaillent comme des forçats, mais ils sont formatés dans un système qui ferme leur esprit. Notre travail, c'est un travail de décloisonnement.»

Avant d'arriver sur le marché du travail, les étudiants chinois n'ont aucun contact avec l'entreprise. Les stages et les emplois d'été ne font pas partie des moeurs. Si Jean Dorey recrute sans peine des sociétés occidentales, il a un mal fou à convaincre les entreprises chinoises d'offrir des stages, même si le ministère chinois de l'Éducation encourage maintenant cette formule.

Les entreprises occidentales ont toutefois des réserves face aux ingénieurs formés en Chine plutôt qu'à l'étranger. «Elles nous disent qu'ils ont de grandes connaissances mais qu'ils sont démunis lorsqu'ils font face à un problème nouveau. Ils n'ont pas d'esprit d'initiative. Prendre une décision, c'est prendre le risque d'une sanction dans un système hiérarchisé. Ils souffrent d'une grande insécurité.»

Les diplômés qui sortent des écoles ne savent même pas comment interagir avec leurs patrons ou leurs collègues, note Jean Dorey. «Ils ne sont pas proches de l'employabilité», dit-il. Chez le fournisseur de Bombardier, par exemple, les recrues ont une année de formation à l'interne avant de commencer à travailler.

Les jeunes ingénieurs partagent toutefois la même détermination, qu'ils aient étudié en Chine ou aux États-Unis. «Ils sont tous imprégnés de la même mission sacrée, dit Jean Dorey. Que la Chine retrouve le premier rang mondial qu'il n'aurait jamais dû perdre.»