Pour assurer leur croissance en Asie et au Moyen-Orient, les grands cabinets internationaux recrutent les meilleurs avocats là où ils se trouvent. Même au Québec!

Karl Tabbakh ne pensait jamais travailler ailleurs qu'à Montréal. Bien intégré dans la métropole, cet avocat de 38 ans avait un avenir professionnel tout tracé chez McCarthy Tétrault où il était considéré en droit des affaires comme une star montante du cabinet.

 

Tout cela a changé en mai dernier lorsqu'un chasseur de têtes international l'a contacté pour lui présenter une offre presque surréaliste: DLA Piper, plus grand cabinet au monde avec ses 3700 avocats et plus de 60 bureaux dans une vingtaine de pays, ouvrait un bureau à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, et le voulait, lui, pour mettre sur pied et diriger le groupe du droit des affaires.

En septembre, il a donc déménagé avec sa femme et son jeune bébé de 7 semaines dans la capitale des Émirats arabes unis, considérée comme l'une des villes les plus riches au monde.

«L'occasion était trop belle et le défi trop intéressant pour refuser», dit Karl Tabbakh, de passage cette semaine à Montréal pour y rencontrer des clients, notamment une institution financière intéressée à investir dans la région du Golfe.

Il n'est pas le seul à avoir quitté le pays pour pratiquer à l'étranger. Sur les quelque 23 000 avocats du Québec, près de 2000 ont fait ce choix. Mais, s'il n'y a pas si longtemps encore, New York et, dans une moindre mesure, Londres, étaient pour Montréal les rivales internationales les plus sérieuses en matière de chasse au talent juridique, ce n'est plus tout à fait le cas ces temps-ci.

Avec Wall Street en déroute et The City toujours à se débattre avec la crise du crédit, bien des avocats et recruteurs estiment que les endroits les plus intéressants pour une carrière juridique internationale se situent aujourd'hui un peu plus à l'est, au Moyen-Orient et en Asie.

Hong-Kong, Singapour, Dubaï, Abou Dhabi... sont devenues en quelques années des places de choix pour qui pratique le droit des affaires.

«C'est la folie!» dit Lindsey Petherick, de ZSA Recrutement juridique. Cette consultante en recrutement juridique international souligne que le marché de l'emploi juridique dans cette région du monde n'a jamais été aussi effervescent qu'aujourd'hui. Autant les offres d'emplois abondent, autant la demande en provenance de candidats internationaux explose.

«Nous sommes inondés de CV!» dit-elle.

Des multinationales du droit

Deux raisons expliquent le phénomène: la croissance économique exceptionnelle dans cette région du globe et la crise financière et ses répercussions sur le marché juridique de New York et de Londres.

Depuis une dizaine d'années, à peu près tous les grands cabinets américains et britanniques ont fait de l'expansion internationale une priorité et certains sont devenus de véritables multinationales du droit. Jones Day, de Cleveland, par exemple, est passé de six à 18 bureaux étrangers, Weil, Gotshal&Manges, de New York, de trois à neuf, etc.

Le gros de cette expansion a toutefois eu lieu au cours des cinq dernières années, avec une poussée dans les métropoles asiatiques et moyen-orientales. Or, puisqu'il y a pénurie d'avocats locaux, les «expats» juridiques sont devenus une denrée de luxe.

Il est vrai qu'il y a beaucoup d'avantages à pratiquer aux Émirats arabes unis. D'abord, le salaire. En acceptant l'offre de DLA Piper, Karl Tabbakh a ainsi doublé le sien instantanément. Mais ce n'est pas que pour ça qu'il a accepté de s'exiler, en fait ça n'explique qu'une infime partie de sa décision, dit-il.

La véritable raison est que ça bouge dans ce coin du monde, dans plusieurs secteurs économiques: construction, immobilier, énergie, finances, des domaines qui requièrent tous de l'expertise juridique de pointe. De plus, le marché des fusions et acquisitions est à développer, tout comme celui des premiers appels publics à l'épargne (IPO) sur les Bourses de Dubaï et d'Abou Dhabi.

Dans ce contexte, les avocats canadiens et québécois sont particulièrement prisés des cabinets étrangers. Pour bien des firmes internationales, ils sont en effet perçus comme des individus biculturels, à la fois bilingues, souvent multilingues, plus ouverts aux différentes cultures, capables de s'adapter à toutes sortes de situations et de clients.

«La biculturalité représente un gros avantage parce que beaucoup de nos clients sont européens, explique Karl Tabbakh. La manière de traiter avec eux diffère des Américains.»

Karl Tabbakh, lui, avait en plus un autre avantage: il parle l'arabe.

La situation pourrait toutefois très vite changer en raison de la crise financière. À New York et à Londres, les licenciements dans les grands cabinets se multiplient. Le département américain du Travail rapportait récemment qu'aux États-Unis, le secteur juridique avait perdu 12 000 emplois au cours de la dernière année.

Conséquence: le bassin d'avocats intéressés à s'exiler s'est soudainement élargi considérablement.

«Les cabinets ont actuellement l'embarras du choix, admet Lindsey Petherick. Ils sont plus exigeants et demandent des candidats avec des caractéristiques plus pointues.»

Récemment, dit-elle, elle a reçu un mandat d'un cabinet basé au Moyen-Orient à la recherche d'un avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle. Petite exigence supplémentaire: il ou elle doit parler le japonais!

Très pointue en effet comme caractéristique...

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