Airbus et Embraer parient que oui. Boeing et Bombardier n'assemblent aucun avion en Chine, même si tous deux y comptent plusieurs fournisseurs.

Comme cet Airbus A380 qui survole Hong-Kong durant le salon Asian Aerospace, les constructeurs aéronautiques atterrissent en Chine avec l'espoir d'en ramener des commandes se chiffrant dans les milliards de dollars.

Mais faut-il fabriquer sur place pour faire un tabac sur le marché chinois?

C'est «la» question qui obnubile l'industrie.

Airbus et Embraer parient que oui. Depuis 2003, l'avionneur brésilien assemble des jets de 50 sièges à Harbin, dans le Nord-Est. Quant au constructeur européen, il construit une usine pour assembler des A320, ses populaires avions de 150 sièges.

La ligne d'assemblage de Tianjin, au sud-est de Pékin, démarrera en 2009.

En revanche, Boeing et Bombardier n'assemblent aucun avion en Chine, même si tous deux y comptent plusieurs fournisseurs.

Pour Bombardier, il ne s'agit pas d'une objection de principe. «Avant de se tourner vers Embraer, le gouvernement nous avait sollicités pour que nous produisions des jets de 50 sièges en joint-venture à Shenyang», affirme Jianwei Zhang, président de Bombardier Chine.

«Nous avons refusé. Nous ne pensions pas que le marché chinois était assez grand pour cet appareil.»

En fait, Bombardier aurait souhaité construire en Chine des jets de plus grande taille, rapportait La Presse en 2004. Mais le gouvernement ne souhaitait pas encourager un concurrent à ses propres jets régionaux, les nouveaux ARJ21.

«Il y a deux ans, les Chinois ne voulaient pas s'associer à Bombardier. Ils ne nous connaissaient pas assez. Ils n'avaient pas confiance», dit Zhang Jianwei, fier du chemin parcouru avec la signature d'une entente de principe sur un partenariat stratégique avec la société d'État AVIC I.

Mais un partenariat ne pèse pas aussi lourd qu'une ligne d'assemblage final aux yeux de Pékin.

«Certains commencent à comprendre qu'une ligne d'assemblage final, ce n'est pas tout. La production de pièces complexes et la R&D faites en Chine ont aussi de la valeur», note toutefois Pang Zhen, qui préside les activités civiles de la Shenyang Aerospace Corporation.

Historiquement, construire des avions en Chine n'a pas été très payant. Le cas le plus célèbre est celui de McDonnell Douglas, racheté par Boeing en 1996. Ce constructeur a beaucoup investi à Shanghai pour y construire des avions MD-80 et MD-90. Il n'en produira que 37 avant de plier bagage.

L'histoire semblait se répéter pour Embraer. Sa coentreprise avec Harbin Aircraft Industry et Hafei Aviation recevait les commandes au compte-gouttes.

Seulement trois transporteurs chinois avaient acquis 16 appareils en près de quatre ans. La cadence de production à l'usine de Harbin a ainsi chuté à deux avions par année en 2006!

Puis est tombée voilà un an la commande de 100 avions du Hainan Airlines Group, qui chapeaute Hainan Airlines et Grand China Express. Elle porte sur 50 jets ERJ 145 qui seront construits en Chine et sur 50 ERJ 190 qui seront importés du Brésil.

Certains ont mis en doute ce contrat. Il faut savoir qu'en Chine, une commande ferme n'est pas toujours assortie d'un gros dépôt de l'acheteur. Mais l'usine de Harbin vient de livrer le premier appareil à Grand China Express.

Ainsi, la cadence, qui se situera entre cinq et sept avions en 2007, augmentera encore l'an prochain, révèle Horacio Aragones Forjaz, premier vice-président, communications.

«Nous savions dès le départ que nous ne verrions pas de résultats à court terme, dit-il. Pour nous, c'est un investissement à long terme qui rapportera lorsque les transporteurs régionaux se développeront en Chine.»

La question est de savoir si les transporteurs sont libres d'acheter les avions qu'ils veulent. Ou s'ils se font tordre le bras par Pékin pour acheter du made in China.

La réponse dépend de l'expert interrogé. Les compagnies aériennes relèvent de l'Administration de l'Aviation civile en Chine (CAAC).

À la suite d'une réforme, la CAAC n'est plus propriétaire des transporteurs et se concentre sur son rôle de régulateur. Mais c'est encore cette agence qui octroie les licences d'exploitation et approuve les tarifs des billets d'avions. Surtout, c'est la CAAC qui reçoit les commandes d'avions.

Le dernier mot revient toutefois au tout-puissant NDRC (National Development & Reform Commission), le planificateur central responsable du développement économique en Chine.

Le NDRC encourage évidemment l'achat local. Il y a donc une tension entre la filière industrielle et la filière aérienne, qui a historiquement dédaigné les avions chinois, à preuve les succès modestes des appareils MA60 et ARJ21.

Les transporteurs savent toutefois qu'ils ont plus de chances de faire approuver leurs achats lorsque les appareils sont construits au pays. En plus, ces avions sont exempts du tarif douanier d'environ 5%.

Les dernières règles du CAAC, qui a annoncé en août un moratoire de trois ans sur l'autorisation de nouveaux transporteurs, favorisent aussi les constructeurs présents en Chine. En effet, les transporteurs qui exploitent des appareils made in China sont au nombre des exceptions.

Ce favoritisme fait sursauter Richard Aboulafia, vice-président analyse du Teal Group, de Virginie. «Les Chinois sont membres de l'Organisation mondiale du commerce, aussi ils jouent avec le feu. En favorisant l'achat local, ils prêtent flanc à une contestation d'un gouvernement étranger.»

Incitatif ou non, la fabrication locale ne change rien aux yeux des transporteurs, qui reluquent les avions qui répondent le mieux à leurs besoins, juge ce consultant en aérospatiale.

Embraer ne vendra pas des tonnes de jets de 50 sièges avec son usine parce que, selon lui, ces appareils sont trop petits pour la Chine. Quant à Airbus, elle aurait connu autant de succès si elle n'avait pas construit une usine à Tianjin.

«Airbus a décroché autant de commandes que Boeing en Chine durant la même période de temps, dit Richard Aboulafia. Les A320 sont de bons avions. Usine ou pas, Airbus les aurait vendus.»

C'est sans parler des coûts. Embraer affirme avoir investi seulement 35 millions US en Chine.

«Nous n'y avons jamais perdu d'argent», dit Horacio Aragones Forjaz. L'avionneur a utilisé les installations de ses partenaires et n'a jamais compté plus de 10 expatriés en Chine sur un effectif de 234 salariés.

En revanche, Airbus fera les frais de son aventure chinoise. Les deux tiers de ses employés à Tianjin sont européens!

Il faudra attendre «trois à cinq ans» avant que l'effectif, de 500 employés, soit à 90% chinois, indique John Leahy, chef de l'exploitation, clients, d'Airbus.

«L'objectif est d'aller aussi vite que la formation du personnel et la qualité de la construction le permet», dit-il.

Airbus a déjà reconnu que ses A320 chinois lui coûteraient plus cher que ses appareils de construction européenne. Outre le coût du personnel, il y a la faible productivité de l'usine en rodage et les coûts de transport.

Qui a dit que Chine rimait avec cheap?

Ce reportage a �©t�© r�©alis�© gr�¢ce �  une bourse de la Fondation Asie-Pacifique du Canada.