Comme beaucoup de travailleurs dans la jeune quarantaine, Joël réalise qu'il a bien peu d'épargne de côté en vue de la retraite.

Comme beaucoup de travailleurs dans la jeune quarantaine, Joël réalise qu'il a bien peu d'épargne de côté en vue de la retraite.

Un conseiller financier lui a lancé une idée pour rattraper le temps perdu: il pourrait emprunter 50 000$ pour combler, d'un seul coup, les droits de cotisation à son REER qu'il n'a pas utilisés dans le passé.

«Le conseiller me dit que c'est investir dans la richesse. Est-ce une bonne stratégie?», se demande Joël (nom fictif).

Tout dépend des intérêts qu'il paiera sur le prêt, du rendement qu'il obtiendra sur ses placements... mais surtout de l'économie d'impôt qui découlera de sa cotisation au REER.

En fait, un prêt REER majeur peut s'avérer payant pour un travailleur qui a des revenus élevés et qui paie 45% d'impôt sur ses dernières tranches de revenus.

«Une personne qui gagne 75 000$ par année et qui rattrape 25 000$ d'un seul coup, c'est tout à fait correct. Ça donnera droit à un remboursement d'impôt substantiel», explique Pierre Renaud, directeur de la planification financière au Québec pour le Groupe de gestion privée Scotia.

Par contre, il n'est pas avantageux de faire une cotisation aussi élevée que son salaire, car une partie de l'avantage fiscal disparaît. Il faut comprendre que la cotisation REER donne droit à une déduction qui permet de réduire ses revenus, aux yeux du fisc, et ainsi de payer moins d'impôt.

Or, les contribuables ne paient pas d'impôt sur leurs premiers 9 000$ de revenus environ. Et sur la tranche de revenus de 9 000$ à 28 000$, le taux d'imposition est de 28,5%, ce qui rend la déduction du REER moins payante.

Il est possible d'estimer le montant du remboursement d'impôt découlant de sa cotisation au REER, à l'aide d'une simple calculatrice disponible sur le site de la firme d'évaluation de fonds communs de placement Morningstar (www.morningstar.ca).

Tout ça pour rien!

Revenons à la situation de Joël : Il gagne un salaire de 55 000$. Son employeur et lui versent 4 000$ par année dans son régime de retraite, ce qui réduit déjà son revenu imposable à 51 000$. À ce niveau, il paie 14 680$ d'impôt, estime M. Renaud.

Étudions le scénario de l'emprunt de 50 000$. Si on tient compte d'un taux d'intérêt de 6%, Joël devra rembourser 551$ par mois, pendant 10 ans. Comme il s'agira certainement d'un taux variable, Joël s'exposera aux fluctuations des taux d'intérêt.

Joël versera 50 000$ dans son REER. Cela ramènera son revenu imposable à... 1000$. C'est dire que le fisc lui retournera tout l'impôt payé durant l'année.

Pour que la stratégie d'emprunt ait du sens, et pour réduire le risque au minimum, il faut que TOUT le remboursement d'impôt serve à réduire le prêt. «Dans la pratique, il n'y a pas une personne sur deux qui le fait», déplore M. Renaud.

Plusieurs sont tentés de rembourser d'autres dettes ou faire des petites dépenses printanières.

Mais disons que Joël est sage et qu'il utilise tout son remboursement d'impôt de 14 680$ pour réduire son prêt REER. Ce remboursement anticipé lui permettra de raccourcir la durée de son prêt de 10 ans à six ans et demi (78 mois). Durant tout ce temps, il conservera des paiements de 551$ par mois.

Comme Joël a un profil d'investisseur prudent, on fait l'hypothèse qu'il obtiendra un rendement annuel composé de 6% sur ses placements (plus l'hypothèse de rendement est élevée, plus la stratégie d'emprunt est avantageuse... et mais aussi risquée).

Au bout de 78 mois, il aura donc accumulé 73 777$.

Par contre, il aura payé 7 727$ en frais d'intérêts. Au bout du compte, la stratégie

d'emprunt lui aura permis d'amasser 66 050$.

M. Renaud avance un deuxième scénario: «Si Joël est prêt à débourser 551$ par mois pour son prêt REER, pourquoi ne pas simplement commencer par un plan d'investissement systématique du même montant?»

À cette cadence, Joël injecterait 6 612$ par année dans son REER. Cette cotisation lui vaudrait un remboursement d'impôt de 2 537$ (compte tenu d'un taux d'imposition de 38%). Joël aurait la discipline d'investir TOUT son remboursement d'impôt dans son REER.

Au bout de 78 mois, son REER renfermerait 66 706$ (avec un rendement de 6%). Davantage qu'avec la formule de l'emprunt! Bref, la stratégie d'emprunt est inutile pour Joël. En plus, elle risquerait de l'étrangler financièrement (voir encadré).

Cotiser sans s'étrangler

Il faut se méfier avant d'emprunter une somme colossale pour cotiser à son REER. Même si le remboursement d'impôt est appétissant, même si la stratégie d'investissement est payante, un prêt REER peut mener à l'étranglement financier.

Utilisons à nouveau l'exemple de Joël (voir article principal). Il gagne un salaire de 55 000$ et pense emprunter 50 000$ pour remplir son REER. «Ça va drôlement réduire sa capacité d'emprunt», prévient Pierre Renaud, du Groupe de gestion privée Scotia.

Il faut savoir que les banques refusent de prêter aux consommateurs dont l'endettement dépasse 40% du salaire brut. Cela correspond à 1 833$ par mois pour Joël (40% de 55 000$/12).

Or, Joël s'est acheté une maison il y a deux ans. Il a une hypothèque de 144 000$ qu'il rembourse sur 25 ans, à raison de 842$ par mois. En ajoutant 400$ pour les autres paiements fixes (taxes, etc.), on arrive déjà à 1242$. Si on additionne les paiements de 551$ par mois pour le prêt REER, on arrive à 1793$, soit 39% de son salaire brut. Limite!

Ce n'est pas tout. Pour faire sa mise de fonds, Joël a pigé dans son REER, à l'aide du régime d'accès à la propriété (RAP). Dès l'an prochain, il devra commencer à remettre graduellement les sommes dans son REER : 16 000$ sur 15 ans, cela équivaut à 1 067$ par année.

Où prendra-t-il cette somme? S'il ne la remet pas dans son REER, le montant s'ajoutera à ses revenus de l'année courante. «Il fera face à une facture fiscale d'environ 400$», précise M. Renaud. D'ailleurs, le spécialiste voit de plus en plus de propriétaires qui sont forcés d'emprunter pour rembourser leur RAP. Une solution de dernier recours!

Pour Joël, un emprunt de 50 000$ est trop lourd. Cela pourrait l'empêcher d'obtenir une marge de crédit ou de s'acheter une auto. Il pourrait être forcé de renoncer à des projets de rénovation ou d'autres dépenses majeures.

Pire: comment Joël réussirait-il à faire ses paiements, s'il perdait son emploi?

Selon M. Renaud, les contribuables devraient se contenter d'emprunter un montant qu'ils sont en mesure de rembourser dans l'année courante, en tenant compte du remboursement d'impôt que leur vaudra leur contribution REER. Il sera toujours temps, l'année suivante, de contracter un nouveau prêt.

Cette solution offre aussi l'avantage d'une meilleure diversification des investissements dans le temps.

En investissant une grosse somme d'un seul coup, on s'expose aux fluctuations du marché. On se mordra les doigts si le marché s'écrase de 15% dans le mois qui suit l'investissement. Vaut mieux y allez petit à petit.