La Terre se réchauffe parce qu'il y a plus de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Ces gaz changent aussi la chimie des océans, qui deviennent plus acides. Quel sera l'effet de ce phénomène sur la faune et la flore marines ? Grâce à ses célèbres sources thermales, l'île d'Ischia, en Italie, constitue un laboratoire naturel pour le découvrir.

Il y a une dizaine d'années, Maria Cristina Gambi a eu une idée subite en lisant des articles sur un rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) des Nations unies. Se pourrait-il que les eaux entourant la Station zoologique Anton Dohrn, où travaille la biologiste italienne, soient une fenêtre sur l'avenir ?

« On sait que plus il y aura de CO2 dans l'atmosphère, plus il y aura de CO2 dissous dans les océans et plus le pH des océans sera bas », explique Mme Gambi, jointe à Ischia, île balnéaire située en face de Naples. « Nous avons justement ici un système unique au monde : des sources thermales sous-marines qui laissent s'échapper un gaz composé à 95 % de CO2, à une température similaire à celle de l'eau de la mer. Normalement, les sources thermales sont plus chaudes et on ne peut départager l'effet de la chaleur et celui de l'acidification de l'eau. »

Les sources thermales d'Ischia sont liées au volcanisme du Vésuve, dont une célèbre éruption en l'an 79 a détruit la ville de Pompéi. L'acidification de l'eau fait craindre que les coraux, les mollusques et les crustacés ne parviennent plus à construire leur squelette.

En 2012, les chercheurs italiens ont invité des collègues étrangers à un séminaire pour leur faire part de leurs résultats préliminaires. « Nous avons des sites sous-marins où l'acidité est comparable à celle que connaîtront les océans du monde entier à la fin du siècle, et d'autres à celle qui surviendra dans 300 ans, dit Mme Gambi. On a aussi accès à différentes profondeurs et à différents courants. »

Les résultats d'une collaboration avec l'Université de Glasgow viennent d'être publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society B.

« À notre grande stupeur, la moitié des espèces de coraux survivent dans une acidité modérée et un tiers dans une acidité extrême. »

« Par contre, il y a généralement une moins grande densité de coraux, sauf pour certaines espèces qui alors prennent de l'expansion parce qu'elles n'ont pas de concurrence pour les ressources, dit Mme Gambi. Il semble y avoir des gènes permettant d'exploiter comme un avantage une acidité accrue. »

Pour ce qui est des mollusques, les problèmes ne survenaient qu'avec une acidité élevée (un pH plus bas). « Il y a moins d'individus et les parois des coquillages sont plus friables, dit Mme Gambi. Les crustacés et les poissons ont l'avantage de la mobilité et ont des systèmes sophistiqués de gestion des conditions ambiantes. Les bernard-l'ermite, par exemple, vivent déjà dans les conditions extrêmes des zones de marées. Il n'y a pas de chute du nombre d'individus, mais d'une manière générale, une diminution de la diversité génétique des populations. »

Quatre autres sites se sont ajoutés depuis à celui qui a fait l'objet de l'étude italo-écossaise, situé autour d'un îlot appelé Castello Aragonese (Château Aragonais), rattaché à l'île d'Ischia. « Ça va nous permettre de voir si les effets observés peuvent être généralisés. Nous avons une grotte sous-marine, une zone très superficielle, à seulement trois ou quatre mètres de profondeur, un banc rocheux plus profond, autour de 10 mètres, et un banc de corail plus profond, à 35 mètres sous la surface. Nous avons presque tous les environnements côtiers de la Méditerranée, notamment une forêt d'algues dans la zone peu profonde. » La National Geographic Society a subventionné un projet d'un an sur les cinq sites, appelé Fenêtre sur l'avenir.

Est-ce que ces résultats ont amené la biologiste italienne à relativiser les prédictions apocalyptiques liées aux changements climatiques ? « Je n'ai jamais été portée à verser dans le terrorisme scientifique, répond Mme Gambi. Mais il faut se souvenir que malgré les alertes, rien ne change. On s'en va vers des océans où le pool génétique sera beaucoup moins diversifié. Ça va affaiblir la capacité des espèces à affronter les autres stress environnementaux, les microbes, la pollution. »