Du Québec à Terre-Neuve, Julie Lapointe pédalera pour une bonne cause.

« Si on arrive à sauver ne serait-ce qu'une seule vie, je vais être heureuse. » Julie Lapointe a empoigné son vélo mardi dernier et roulera de Salaberry-de-Valleyfield jusqu'à Terre-Neuve. Elle le fait à la mémoire de son conjoint qui a mis fin à ses jours en 2014. Pour parler du suicide et de prévention, mais aussi pour donner au suivant.

« En une fraction de seconde, ta vie bascule du bonheur à l'horreur. » Le douloureux souvenir du départ précipité de son mari est encore frais, même quatre ans plus tard. « Je n'ai pas encore passé au travers. Le suicide, on ne passe jamais vraiment au travers, en ce sens qu'il y a toujours des blessures, tu te poses toujours des questions. »

La Presse a rencontré Julie Lapointe et son complice Roland Guillon quelques jours avant leur grand départ pour Terre-Neuve. À vélo, avec quatre autres cyclistes, ils parcourront près de 3000 km en moins d'une vingtaine de jours pour soutenir la cause qui leur est chère. Leur périple s'appelle « Prévenir le suicide... Un kilomètre à la fois ».

« Mon conjoint était un grand cycliste, le vélo faisait partie de nos vies », confie la femme de 51 ans. « Il s'est blessé au dos et ça a créé un déséquilibre chimique au cerveau [...] Il était quelqu'un de très positif, de joyeux. Jamais personne n'aurait pu s'imaginer que ce gars-là pourrait se donner la mort. En l'espace de trois semaines, il était en dépression. »

À cette époque, Julie Lapointe se souvient qu'elle et son conjoint, Daniel Delorme, peinaient à trouver de l'aide, des ressources. « On ne connaissait pas les services... il y avait aussi les listes d'attente. Finalement, la première chose que j'ai sue, c'est qu'il s'était tué. Dans son cas, [sa dépression] ç'a été fulgurant », relate-t-elle.

« C'est un cauchemar et tu ne te réveilles jamais. »

- Julie Lapointe

Ambulancière, la cycliste était en arrêt maladie pour traiter un choc post-traumatique lorsque le drame a frappé en 2014. « Je ne connaissais pas non plus les structures d'aide en place, ç'a été l'enfer. » Jusqu'au jour où elle a découvert la ressource de transition Le Tournant.

« Le Tournant, c'est extraordinaire », dit-elle. Julie Lapointe a pu entre autres se joindre à un groupe d'endeuillés du suicide, ce qui lui a permis de « ventiler et parler » à coeur ouvert. « Ça fait un bien fou », assure-t-elle. Avec le temps, elle est même arrivée à chasser ses propres idées noires. « C'était clair que je voulais redonner un jour au Tournant. »

LE DÉBUT D'UNE AMITIÉ

Roland Guillon revenait d'un long voyage à vélo de Vancouver à Huntingdon quand il a fait la connaissance de Julie Lapointe. Les deux s'entraînaient avec le club cycliste Les 3 Sommets. Quelques mois après sa grande aventure, M. Guillon a perdu sa femme des suites d'un cancer. « On s'est beaucoup aidés », raconte le duo de cyclistes.

« Roland a été sensibilisé, je pense, parce qu'il m'a vue me démener dans tout ça », souligne-t-elle. Le retraité de la restauration avait roulé quelque 5300 km à travers le Canada pour soutenir diverses causes, dont celle des femmes violentées. « Je caressais le rêve de terminer la traversée du Canada et je me cherchais une nouvelle cause », dit-il.

Se liant d'amitié, l'idée de le faire pour la prévention du suicide est venue naturellement. « Je n'avais pas l'énergie de le faire seule, et c'est là que Roland a décidé de s'impliquer. Seule, je n'aurais pas eu le courage de le faire », raconte-t-elle. « Quand on connaît les rouages [de ce genre de collecte de fonds], c'est plus facile », admet M. Guillon.

50 000 $ POUR LA PRÉVENTION

Il aura fallu près de trois ans avant que le projet se forme complètement. L'objectif est de remettre 50 000 $ au Tournant, qui offre des services d'intervention de crise, de prévention du suicide, de réadaptation et de formation. D'autres activités, dont un tour cycliste de 365 km, sont prévues en septembre pour marquer la Journée mondiale de la prévention du suicide.

Les cyclistes doivent mettre le cap sur le Bas-Saint-Laurent aujourd'hui. Des organismes de prévention du suicide doivent notamment les accueillir à Rivière-du-Loup et Rimouski. Ils atteindront le Nouveau-Brunswick à la mi-juillet, puis la Nouvelle-Écosse et, enfin, Terre-Neuve. Sur leur route, ils espèrent parler le plus possible des services locaux en place.

Encore fragile, Julie Lapointe ne sait pas si sa santé lui permettra de parcourir les centaines de kilomètres à l'itinéraire, mais ce qu'elle sait, c'est qu'elle portera son message jusqu'au bout.

« C'est un hommage à Daniel. Daniel voulait aider tout le monde, alors c'est l'héritage qu'il me laisse. Je veux aider. Je sais qu'il serait fier de moi. »

- Julie Lapointe

« C'est pour qu'il soit fier. Je trouve ça difficile tous les jours qu'il ne soit pas là. Je ne veux pas que sa mort soit vaine, alors, avec ça, j'ai le sentiment que ce ne sera pas le cas », ajoute-t-elle. « Ç'a été atroce et c'est un combat que je mène encore [...] Ce que je veux dire aussi, c'est de ne pas vous gêner pour appeler. Ça peut être la différence entre la vie et la mort. »

« Daniel sera avec moi dans mon coeur tout le long. »

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Photo Robert Skinner, La Presse

Julie Lapointe