Les statistiques ne jouent pas en faveur de Jean-Pierre Bédard. Ses chances de survie sont faibles ; à peine 20 %. Son cancer au poumon, diagnostiqué à un stade avancé, est inopérable. Il le dit sans détour : « Je vais peut-être bien mourir. »

Tout cela, rage-t-il, à cause d'un oubli. Ou d'une négligence. Il n'en est pas certain. Tout ce qu'il sait, c'est qu'un rapport d'examen radiologique alarmant semble être resté coincé dans les rouages de la bureaucratie médicale pendant que le cancer progressait en lui, sans qu'il soit prévenu prévenu de quoi que ce soit.

M. Bédard, 69 ans, réclame 1,5 million à deux médecins spécialistes de Québec pour cet apparent cafouillage, qui risque fort de lui faire perdre de nombreuses années de vie.

L'avocat retraité de la fonction publique ne cache pas son amertume.

« Je trouve ça quasiment criminel, s'indigne M. Bédard. C'est une faute très lourde pour un médecin de laisser les mois s'écouler quand il s'agit d'une maladie qui peut vous tuer. »

En juin 2015, M. Bédard a consulté la Dre Sophie Lachance, oto-rhino-laryngologiste au Centre hospitalier de l'Université Laval. Cette dernière a diagnostiqué un cancer des cordes vocales et a dirigé M. Bédard vers son collègue, le Dr François Thuot, pour une opération mineure à l'Hôtel-Dieu de Québec.

La Dre Lachance a aussi commandé une « tomodensitométrie », un examen d'imagerie médicale visant à vérifier si le cancer s'était propagé ailleurs, selon la poursuite civile déposée hier au palais de justice de Québec.

M. Bédard a subi la tomodensitométrie le 25 juin. Les résultats, parvenus en deux semaines, étaient inquiétants. Dans son rapport, la radiologiste notait l'« apparition d'une opacité nodulaire au parenchyme pulmonaire [...] de nature indéterminée ». Elle recommandait des tests plus poussés et une biopsie.

Il y avait urgence d'agir. Ce n'est pourtant que plus de six mois plus tard, en janvier, qu'une employée de la Dre Lachance a contacté M. Bédard pour lui recommander d'autres tests.

« Je ne comprenais pas. Ils venaient sans doute de s'apercevoir que [la Dre Lachance] n'avait pas regardé le rapport de la radiologiste. Je ne sais pas ce qui s'est passé », dit M. Bédard.

UN CANCER INOPÉRABLE

Ce que la radiologiste redoutait a été confirmé le 26 janvier : M. Bédard était atteint d'un cancer au poumon, grade 3A. À ce stade, l'opération n'était plus possible. « La plupart des médecins que j'ai vus ont été assez surpris de savoir que cela avait traîné pendant six mois et demi. »

« Si ce délai de six mois ne s'était pas écoulé, au pire, j'aurais eu un cancer de grade 2. J'aurais alors eu plus de 50 % de chances de survie. »

- Jean-Pierre Bédard

M. Bédard a retenu les services de Me Marc Boulanger, spécialiste du droit médical à Québec, pour réclamer justice. Il poursuit la Dre Lachance et le Dr Thuot, qu'il considère comme « solidairement responsables des conséquences des failles de leur système de communication » pour le suivi, le diagnostic et le traitement de sa maladie.

Il n'a pas été possible d'obtenir, hier, les réactions des deux médecins.

Après avoir été bombardé de traitements de chimiothérapie et de radiothérapie, M. Bédard vit désormais dans l'angoisse d'une récidive. « C'est une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Est-ce que je vais me rendre au bout de cinq ans ? »

Révolté, cet ancien avocat au ministère de la Justice et au Protecteur du citoyen est convaincu que d'autres subiront le même sort, alors que la population vieillit et que les cas de cancer augmentent au Québec.

« On nous dit toujours de passer des examens parce que si on le détecte vite, on peut gagner contre le cancer. Tu n'attends pas six mois pour prévenir un patient ! Ça ne me rentre pas dans la tête. On a envoyé du monde en prison pour des choses pas mal moins dangereuses que ça. »