Des patients qui cessent de boire et de manger, faute d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Un autre qui a songé à faire une surdose d'héroïne dans un parc pour mettre fin à ses jours. Un médecin qui admet avoir accordé la procédure à un patient qui ne respectait pas tous les critères de la loi.

Un débat aussi passionné qu'émotif sur l'aide médicale à mourir a fait ressortir ces histoires troublantes, hier, lors du congrès de l'ACFAS qui se tient à Saguenay. En toile de fond, une question qui divise la société québécoise : faut-il élargir la loi actuelle pour accorder l'aide médicale à mourir à des patients qui ne sont pas en fin de vie ?

« L'interdiction complète pour les gens qui ne sont pas en fin de vie porte atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Ce n'est pas justifié dans une société libre et démocratique », a plaidé l'avocat Jean-François Leroux, avocat au cabinet Ménard, Martin, qui conteste la loi québécoise devant les tribunaux.

Michèle Marchand, une médecin et philosophe qui a notamment représenté la position du Collège des médecins lors de l'élaboration de la loi québécoise, estime au contraire qu'une telle ouverture serait dangereuse et mènerait à des « dérives ».

« Je pense qu'il y a une différence fondamentale entre écourter une agonie chez quelqu'un qui va mourir de toute façon et provoquer la mort de quelqu'un qui veut certes mourir, mais qui n'est pas en fin de vie. » - Michèle Marchand, médecin et philosophe

La Dre Marchand estime qu'élargir la loi nous conduirait sur une « pente glissante » qui pourrait éventuellement mener à accorder l'aide médicale à mourir à des handicapés, à des gens en choc à la suite d'un accident et qui ont besoin de temps pour accepter leur nouvel état ou à des personnes âgées qui préfèrent mourir que de finir leurs jours dans une maison de soins.

« J'ai peur que ça devienne une panacée et qu'on utilise ça pour régler un paquet de problèmes qu'on devrait régler autrement. Par exemple en réfléchissant aux institutions pour les personnes âgées, en développant les soins palliatifs pour soulager la douleur, en aidant les patients suicidaires à passer au travers », dit-elle.

Celle qui a été présentée comme la « mère » de la loi québécoise sur l'aide médicale à mourir, la députée de Joliette et vice-cheffe du Parti québécois, Véronique Hivon, a quant à elle défendu le choix de limiter l'aide à mourir aux patients en fin de vie.

«  En tant qu'élus, il fallait considérer l'acceptabilité sociale et le consensus. [...] Il n'y en aurait pas eu, de loi, si on avait voulu inclure les mineurs, les personnes qui ne sont pas en fin de vie, les personnes qui le demandent de façon anticipée. On aurait perdu le consensus. » - Véronique Hivon

Mme Hivon a aussi soutenu que la loi québécoise a toujours été pensée dans le contexte des soins de fin de vie et non comme un « droit sur demande » de mourir.

SE LAISSER MOURIR DE FAIM

L'avocat Jean-François Leroux représente deux patients, Jean Truchon et Nicole Gladu, qui contestent devant les tribunaux les lois québécoise et canadienne. Tous deux sont atteints d'une maladie grave et incurable, mais ne sont pas admissibles à l'aide médicale à mourir parce qu'ils ne sont pas en fin de vie. Me Leroux a révélé que M. Truchon a songé à acheter de l'héroïne dans un parc et à y faire une surdose pour mettre fin à ses jours, ainsi qu'à se jeter devant une voiture. Il a renoncé à ces idées par crainte de se faire escroquer en achetant son héroïne et de traumatiser l'automobiliste qui le percuterait.

Pour Me Leroux, la notion de consensus social ne fait pas le poids devant la souffrance et les droits de ses clients. « Si les lois ne tenaient compte que du consensus social, les gens les plus susceptibles d'être lésés ne seraient pas protégés », a-t-il plaidé.

La Dre Michèle Marchand a soulevé de vives réactions dans la salle en évoquant l'idée que les patients qui n'ont pas accès à l'aide médicale à mourir puissent se laisser mourir de faim et de soif. Elle a soutenu qu'une telle démarche peut être accompagnée médicalement et peut se faire dignement, sans trop de souffrances. Il fallait voir Véronique Hivon grimacer à ses côtés pour comprendre ses réticences.

« Je ne suis pas une spécialiste, mais d'un point de vue humain et sociétal, de dire à quelqu'un que sa seule solution est d'arrêter de boire et de manger, ça fait assez terrible. » - Véronique Hivon

En fait, l'avocat Jean-François Leroux a confirmé que la stratégie est parfois utilisée par des patients québécois qui veulent mettre fin à leurs jours. L'affaire soulève même un nouveau débat : un patient qui cesse de manger et de boire se retrouve, par définition, en fin de vie. Devient-il alors admissible à l'aide médicale à mourir ? Un neurologue présent dans la salle a témoigné qu'il a déjà été aux prises avec exactement cette situation. Il a accordé l'aide médicale à mourir à son patient, même si sa maladie laissait présager qu'il aurait encore plusieurs années de vie. Le patient a fini par mourir avant de recevoir cette aide.

Dans ce cas, a révélé le médecin, il était déjà convenu qu'il serait inscrit « phase terminale » dans le formulaire d'aide médicale à mourir afin de respecter les critères de la loi. « Dans la vraie vie, ce n'était pas tout à fait ça, a-t-il avoué. Régulièrement, les médecins sont appelés à prendre des décisions à la marge de la loi, sur le principe des meilleurs soins appropriés. Et ce n'est pas toujours facile. »