Des chercheurs montréalais ont déterminé pourquoi certains obèses sont en bonne santé. C'est en raison d'une molécule qui favorise la croissance des vaisseaux sanguins dans la graisse. Leurs travaux pourraient mener à des traitements pour minimiser l'impact du surpoids.

INFLAMMATION

Les chercheurs de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont voulaient départager les deux principales théories expliquant le lien entre l'obésité et le « syndrome métabolique », un trouble associé au diabète et aux maladies cardiovasculaires. « L'une des théories est que trop de sucre cause des défaillances dans la capacité de l'organisme à répondre au sucre », explique Mike Sapieha, biologiste à Maisonneuve-Rosemont et auteur principal de l'étude publiée dans la revue Science Immunology. « L'autre théorie, c'est qu'il y a trop d'inflammation chez les personnes obèses. Notre étude montre que ce ne sont pas toutes les sortes d'inflammation qui sont néfastes. Notre corps est aussi muni d'un système inflammatoire protecteur, qui promeut l'expansion physiologique saine du tissu adipeux. Il y a une population de cellules immunitaires qui préparent le corps à avoir une expansion du tissu adipeux, sans avoir les conséquences néfastes sur la tolérance au glucose et les autres complications associées au syndrome métabolique. Ces cellules sont des macrophages et s'appellent des neuropilines-1 positives, ou NRP1+. »

GENÈSE

« Une des inspirations de cette étude a été de voir des gens ayant un surpoids courir un marathon », explique M. Sapieha, qui a travaillé sur la question avec plusieurs collègues, dont son étudiante au postdoctorat Ariel Wilson. « Ils ont un bon niveau de cholestérol, une glycémie parfaite, une santé métabolique parfaite. Ils courent même mieux que certains qui ont physiquement plus l'air en santé. On s'est intéressés aux mécanismes qui expliquent que le gras peut être stocké dans le corps de façon très saine. » À l'époque, des théories postulaient qu'il était possible de combattre l'obésité en limitant la création de vaisseaux sanguins dans la graisse. « Nous avons montré que c'est le contraire. Il faut des vaisseaux sanguins pour éviter que des toxines s'accumulent dans la graisse, pour irriguer toutes les cellules qui croissent. » En d'autres mots, les obèses en santé ont probablement de la graisse bien vascularisée.

MÉDICAMENT

Cette découverte pourrait-elle mener à des traitements pour contrer les effets négatifs de l'obésité ? « C'est une étude plutôt fondamentale, mais c'est une porte qui s'ouvre vers la clinique, dit M. Sapieha. Nous détenons les brevets, mais il reste à prouver que c'est une thérapie valable, sans conséquence adverse. Nous travaillons sur le même mécanisme pour une maladie des yeux, avec des agents biologiques, une classe de médicaments très coûteuse à développer. Il faut voir si le coût serait économiquement valable. Le syndrome métabolique a des impacts très coûteux sur la santé, mais il faut comparer avec les changements d'habitude de vie au niveau de l'alimentation et de l'exercice. »

YEUX

L'an dernier, Mike Sapieha a fondé l'entreprise Sema Thera, qui vise à mettre au point un médicament contre la cécité liée au diabète utilisant la même molécule, NRP1+. « On a développé un modulateur de l'activité de NRP1+ chez les patients qui font des rétinopathies diabétiques. On avait initialement postulé que dans l'oeil, ces macrophages NRP1+ promeuvent trop de croissance vasculaire. Contrairement à ce qui se passe dans les tissus adipeux, leur activité est trop importante. Il faut un équilibre. » Le médicament en développement a été testé chez des souris, et M. Sapieha espère que des essais cliniques chez l'humain pourront commencer d'ici deux ou trois ans.

SUCRE

Depuis quelques années, plusieurs chercheurs proposent l'hypothèse que les méfaits de l'obésité sont en bonne partie attribuables à la toxicité du sucre, qui cause des dommages au foie appelés « stéatose hépatique non alcoolique », l'une des conséquences les plus graves des maladies métaboliques. L'un des pères de cette théorie, le neuroendocrinologue Robert Lustig, de l'Université de San Francisco, a publié le printemps dernier une étude, qu'il considère comme une preuve irréfutable, sur 41 enfants ayant vu la proportion de gras dans leur foie diminuer de moitié après dix jours d'une diète pauvre en fructose. L'étude de Maisonneuve-Rosemont sur les NRP1+, qui met l'accent sur l'inflammation plutôt que sur le sucre, infirme-t-elle l'hypothèse du Dr Lustig ? « La diète de nos souris était pauvre en sucre, alors nous n'avons pas de comparaison, dit Ariel Wilson. Tout ce qu'on peut dire, c'est que les souris qui n'ont pas le récepteur de NRP1+ sont plus susceptibles d'avoir une stéatose hépatique non alcoolique. »

CONTROVERSE

En 2013, une épidémiologiste des Centres de contrôle des maladies (CDC) des États-Unis, Katherine Flegal, a publié une étude montrant que les gens qui ont un surpoids (un indice de masse corporelle entre 25 et 27) ont 6 % moins de risques de mourir durant une période de suivi de cinq ans que ceux qui ont un poids santé. Les résultats de Mike Sapieha et d'Ariel Wilson confirment-ils cette étude controversée ? « On ne peut pas dire qu'on confirme ces résultats, mais ils sont compatibles avec les nôtres », se limite à dire M. Sapieha. Des critiques de l'étude du Dr Flegal ont avancé qu'avant de mourir, un patient perd souvent du poids. M. Sapieha souligne aussi que chez les personnes âgées, l'IMC n'est pas un bon indicateur de l'état de santé.

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• 17 % des adultes canadiens de 18 à 39 ans souffrent du syndrome métabolique

• 27 % des adultes canadiens de 50 à 59 ans souffrent du syndrome métabolique

• 60 % des adultes obèses (IMC supérieur à 30) souffrent du syndrome métabolique

Sources : Canadian Medical Association JournalObesity