Bien qu'il soit possible d'identifier qui accède à son dossier médical électronique, encore faut-il se donner la peine de le faire.

Une enquête de La Presse révélait vendredi que des entreprises exploitent à des fins commerciales le contenu de dossiers de millions de Québécois dont l'identité a été « anonymisée ». Or, des accès abusifs aux dossiers ont lieu quotidiennement à une tout autre échelle par l'entremise de travailleurs de la santé, et ce, sans qu'aucun mécanisme de surveillance ne les en empêche.

Par exemple, La Presse a publié fin janvier l'histoire d'une inhalothérapeute radiée de son ordre professionnel après voir consulté les dossiers de patients en fin de vie afin de tenter d'acheter leur maison à bas prix. Selon l'Association des gestionnaires de l'information de la santé du Québec (AGISQ), qui regroupe quelque 600 archivistes médicaux de la province, c'est un heureux hasard si un tel stratagème a pu être mis au jour, car aucun mécanisme, humain ou informatique, ne permet de signaler systématiquement les consultations inopportunes d'informations médicales confidentielles.

« Il n'y a pas de règle qui oblige un établissement à faire de la journalisation des accès dans ces systèmes-là. Les systèmes informatiques permettent de laisser des traces comme un petit Poucet, mais s'il n'y a pas de vigie, ça ne sert à rien », estime Alexandre Allard, président de l'AGISQ.

« Un dossier de santé électronique, c'est quelque chose d'hyper sensible, alors nécessairement, on devrait faire plus de validation. »

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec n'a pas donné suite aux demandes d'entrevue de La Presse à ce sujet.

Cas de figure

Les cas de figure d'abus sont nombreux. Si certains sont moins choquants à première vue - pensons à un professionnel de la santé qui consulte le dossier d'un membre de sa famille -, d'autres utilisations frauduleuses de données donnent des frissons dans le dos.

Avocat spécialisé dans la défense des patients, Jean-Pierre Ménard donne en exemple le cas de femmes qui ont reçu des publicités d'entreprises funéraires peu de temps après avoir reçu un diagnostic de cancer du sein.

« Des cas comme ça touchent directement la relation entre les patients et les professionnels, et on ne peut pas tolérer ça », dit Me Ménard.

« Les règles déontologiques sont strictes, mais avec les dossiers informatisés, beaucoup de monde a accès à beaucoup de choses, et c'est difficile à contrôler. Le problème, c'est que l'application des règles est inégale et dépend de la culture des différents milieux. Certains établissements sont très prudents, d'autres, non. »

Selon Alexandre Allard, il ne devrait y avoir aucune zone grise.

« Si vous êtes une infirmière en pédiatrie et que vous êtes en train de consulter le dossier de votre père aux soins palliatifs, vous n'avez pas d'affaire là », illustre-t-il.

L'AGISQ interpelle depuis plusieurs années le gouvernement du Québec à ce sujet. L'Association s'est d'ailleurs présentée devant la commission parlementaire sur l'accès à l'information, en août dernier. « Mais on n'en a jamais entendu parler depuis », déplore M. Allard.

La Commission d'accès à l'information a toutefois déclenché une enquête à la suite de la publication de notre dossier sur la commercialisation des renseignements des dossiers médicaux électroniques, vendredi dernier.

Photo David Boily, Archives La Presse

Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans la défense des patients

Radiation temporaire pour une médecin

L'été dernier, le Collège des médecins a radié pour une période de trois mois la Dre Elena Claudia Minca après avoir découvert que celle-ci avait consulté le dossier médical d'une amie dont elle avait perdu la trace. La Direction des enquêtes du Collège des médecins a par la suite publié une note à l'attention de ses membres leur rappelant que « ces puissants outils [informatiques] doivent être exclusivement utilisés dans le cadre de leurs fonctions, c'est-à-dire la dispensation des soins ».