Québec s'était engagé en 2011 à créer un comité de suivi de la rémunération des médecins spécialistes afin de vérifier si le rattrapage avec le reste du Canada était chose faite. Or, il ne l'a jamais mis sur pied. Et il a accordé malgré tout de nouvelles augmentations au corps médical que les contribuables doivent aujourd'hui payer jusqu'en 2022-2023.

Ce comité visait à mesurer l'écart entre la rémunération des spécialistes québécois et ceux du reste du Canada. L'objectif était de faire une mise à jour périodique de la situation après que le gouvernement eut accordé aux membres de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) un rattrapage salarial en vertu d'une entente datant de 2007 et s'échelonnant jusqu'en 2015-2016. Il fallait s'assurer que les augmentations promises étaient toujours justifiées au-delà de 2011, en tout ou en partie.

L'entente conclue en 2011 entre le ministre de la Santé d'alors, Yves Bolduc, et le président de la FMSQ, Gaétan Barrette, stipulait ainsi que « les parties conviennent de mettre sur pied un comité paritaire ayant pour mandat de suivre périodiquement l'évolution de l'écart entre la rémunération des médecins spécialistes du Québec et la rémunération de l'ensemble des médecins spécialistes des autres provinces canadiennes sur la base des dernières données disponibles, en prenant en considération tous les facteurs pertinents à cette comparaison et en mettant à jour les travaux antérieurs ».

Or, ce comité n'a jamais vu le jour. Le Vérificateur général en glissait un mot dans son rapport sur la rémunération médicale publiée en 2015. La création du comité « était essentielle afin de déterminer l'ampleur réelle des écarts et de s'assurer que les pourcentages d'augmentation accordés aux médecins québécois sur cette base demeuraient justifiés dans le temps », soulignait-il.

La semaine dernière, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, reconnaissait que les prévisions de croissance de la rémunération médicale dans le reste du pays faites au milieu des années 2000 se sont avérées inexactes : la rémunération ailleurs au pays a augmenté de façon moindre que prévu.

Mais comme aucune mise à jour des données n'a été faite au fil du temps, les spécialistes québécois gagnent plus que leurs collègues ontariens aujourd'hui. Ils dépassent la moyenne canadienne depuis 2014-2015.

« Personne n'avait pu prédire - parce que c'est de cela qu'on parle, une prédiction et non une prévision - que le Canada allait sévèrement ralentir son comportement constaté à l'époque. Et c'est ce qui a fait que les médecins québécois se sont retrouvés dans la position actuelle. [...] Comme l'entente qui a été conclue contractuellement ne prévoyait pas de réouverture de ces contrats-là, bien on est là où on est aujourd'hui », a laissé tomber Gaétan Barrette jeudi dernier. Il n'a pas rappelé la clause prévoyant la création d'un comité de suivi qui, si elle avait été appliquée, aurait permis de corriger la situation, selon le Vérificateur général.

Chronologie d'une saga

2003

Peu de temps avant les élections, le ministre de la Santé du gouvernement Landry, François Legault, reconnaît la nécessité d'un rattrapage salarial. La FMSQ parlait d'un écart allant jusqu'à 40 %. « Le gouvernement s'engage à corriger les écarts reconnus par les parties avant de s'assurer et de maintenir un niveau de rémunération concurrentiel visant à permettre la rétention et le recrutement de médecins spécialistes nécessaires au bon fonctionnement du système de santé », dit l'entente.

2007

Un accord intervient entre le ministre de la Santé d'alors, Philippe Couillard, et le président de la FMSQ, Gaétan Barrette. Le gouvernement est alors minoritaire à l'Assemblée nationale et des élections se profilent pour 2008. Québec annonce une augmentation de 25 % d'ici 2015-2016 au titre du rattrapage. Il omet alors de préciser qu'il y a aussi des augmentations supplémentaires de 8 % et une hausse de l'enveloppe de 2 % par an (l'évolution de pratique) servant à financer l'arrivée de nouveaux médecins. Le gouvernement estime alors que la rémunération des médecins passera de 2 milliards en 2007 à 3,63 milliards en 2016. Dans les faits, ce fut 4,6 milliards cette année-là. C'est une erreur considérable de 1,24 milliard.

2011

Nouvelle entente, cette fois entre le ministre de la Santé Yves Bolduc et Gaétan Barrette. Elle « s'applique en sus des dispositions déjà prévues à l'entente [de] 2007 » sur le rattrapage, précise le document. De nouvelles augmentations sont ainsi accordées pour la période 2010-2015 : 10,5 % (ce qui comprend les hausses accordées au secteur public durant cette période) alors que, publiquement, le gouvernement ne parle que de 6 %. On ajoute à l'enveloppe de rémunération des médecins une somme de 251 millions pour financer diverses mesures. Les parties s'engagent à créer un comité de suivi sur le rattrapage. Ce comité ne sera jamais créé. Des élections auront lieu un an plus tard.

2012

Nouvellement élu, le gouvernement Marois suspend le versement de certaines sommes prévues aux ententes. Le gouvernement Couillard le fera aussi par la suite. C'est à ce moment qu'une « dette » est contractée envers les médecins spécialistes.

2014

Le nouveau ministre de la Santé, Gaétan Barrette, convient avec la FMSQ d'un accord sur l'étalement des hausses déjà promises aux spécialistes. Les augmentations sont échelonnées jusqu'en 2021. Québec s'engage en plus à accorder aux médecins les hausses salariales consenties au secteur public (5,25 %).

2018

L'entente entre le gouvernement Couillard et la FMSQ revoit le versement des augmentations promises. Elle prévoit des hausses de 11,2 % (ou 511 millions par an) pour la période 2015-2023 et le remboursement de la « dette » qui totalise maintenant 1,5 milliard et qui sera effacée en 10 ans. Québec retire la clause de parité salariale avec le secteur public (5,25 %) qu'il avait lui-même accordée. L'enveloppe de rémunération des médecins spécialistes passera à 5,4 milliards en 2022-2023, prévoit-on.