Des sacs d'épicerie moins remplis et des logements plus froids : voilà le sacrifice qu'ont dû faire des centaines de milliers de Canadiens afin de pouvoir acheter des médicaments en 2016, l'année évaluée par une récente étude pancanadienne sur le sujet.

Celle-ci a été réalisée par des chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique, l'Université Simon Fraser, l'Université McMaster et l'Université de Toronto. Elle a été publiée mardi dans la version en ligne du Journal de l'Association médicale canadienne.

Il s'agit d'une première, les études précédentes ne s'étant pas penchées sur les conséquences vécues par ceux qui ne prennent pas les médicaments prescrits.

L'un des constats de l'étude est que plus de 900 000 Canadiens ont réduit leurs dépenses pour des besoins essentiels : 730 000 ont coupé dans leur facture d'épicerie et 238 000 ont dû baisser le chauffage pour réussir à s'acheter des médicaments prescrits par un médecin, selon les estimations calculées à partir des résultats.

Il a été estimé que près de 1,7 million de Canadiens, ou 8,2 % de ceux qui se sont fait prescrire un médicament en 2016, n'ont pas rempli l'ordonnance ou n'ont pas pris les médicaments tels que prescrits, en raison du coût.

S'il était déjà connu que de nombreuses personnes avaient de la difficulté à se payer des médicaments, l'analyse a permis de démontrer qu'elles doivent réduire les dépenses pour des choses essentielles à la vie pour les acheter, a précisé l'auteur principal de l'étude, Michael Law, professeur à l'Université de la Colombie-Britannique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'accès aux médicaments.

Le Québec fait bonne figure : c'est la province où l'on retrouve le plus faible pourcentage de la population (3,70 %) qui n'a pas pu remplir une ordonnance en raison du coût. « Et par une bonne marge », a commenté le professeur Law.

« Nous avons tendance à croire que les gens au Québec ont une meilleure couverture d'assurance pour les médicaments qu'ailleurs au Canada. »

La pire province est la Colombie-Britannique, à 8,11 %. Cette dernière traîne en bas de liste en raison notamment du coût de la vie qui y est très élevé, ce qui met de la pression sur les finances de toutes parts, et aussi sur les franchises très élevées de l'assurance-médicaments.

Une autre conséquence de ce constat est que faute de médicaments, beaucoup de gens se retrouvent à l'urgence pour y recevoir des soins ou consultent un médecin. Ce qui a un impact sur le coût du système de santé : 300 000 personnes ont rapporté avoir consulté un médecin et 93 000 se sont rendues aux urgences des hôpitaux en 2016 parce qu'elles n'avaient pas acheté les médicaments prescrits. Par exemple, quelqu'un qui souffre d'asthme, mais qui n'a pu acheter son inhalateur peut se retrouver à l'urgence pour des difficultés respiratoires.

« Cela suggère que si vous améliorez la couverture d'assurance pour les médicaments, oui, il y aura ce coût supplémentaire, mais vous devriez voir des économies, car les gens se rendront moins à l'urgence et dans les bureaux des médecins ».

Les jeunes adultes, les gens à faibles revenus et ceux sans assurance-médicaments étaient plus nombreux à déclarer avoir des difficultés à s'offrir des médicaments. Ils étaient aussi plus nombreux à avoir eu besoin de soins de santé additionnels en lien avec la non-prise de médicaments.

Pourquoi les femmes ? Jeunes, elles prennent plus souvent que les hommes des médicaments, comme la pilule contraceptive, qui n'est souvent pas couverte par les régimes d'assurance, a expliqué le professeur Law. Elles gagnent aussi moins d'argent en moyenne que les hommes.

Parmi les médicaments qui n'ont pas été achetés en raison de difficultés financières, les plus nombreux étaient ceux pour la dépression, l'anxiété ou d'autres troubles de santé mentale. Un peu une surprise pour l'équipe de chercheurs, mais pas complètement.

« Ceux qui prennent des médicaments pour des troubles de santé mentale, en particulier la dépression, sont plus souvent des femmes et des personnes à faibles revenus », a-t-il expliqué en entrevue.

En 2007, lorsqu'il avait été évalué combien de personnes au pays ne pouvaient acheter leurs médicaments en raison de difficultés financières, la conclusion avait été la suivante : 9,6 % de la population canadienne. En 2016, le pourcentage a baissé à 8,2 %. Le professeur Law l'attribue à certains changements dans les couvertures universelles de médicaments dans certaines provinces, mais aussi possiblement à différentes méthodologies utilisées dans les deux études. Il cite aussi le plus grand nombre de médicaments génériques disponibles depuis 2007, ce qui réduit le coût.

Les médicaments qui ne sont pas achetés ne sont pas forcément les plus dispendieux : près d'un tiers des répondants ont déclaré que la prescription qu'ils omettaient de prendre le plus souvent aurait coûté 50 $ ou moins.

Pour régler ce problème, et éviter aux Canadiens de devoir sabrer dans les nécessités de la vie, le chercheur propose deux pistes de solutions : continuer à bonifier les couvertures d'assurance et trouver des façons de réduire le coût de médicaments.

Plus de 28 000 personnes ont participé à l'étude, les données ayant été colligées notamment avec l'aide de Statistique Canada, dans le cadre de son Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes.