Le nombre de cas de syndrome d'alcoolisation foetale est cinq à dix fois plus grand qu'on ne le croyait, selon une nouvelle étude américaine. La proportion des bébés dont le cerveau est touché par l'abus d'alcool durant la grossesse pourrait atteindre 10 %. Nos explications.

DÉPISTAGE ACTIF

L'étude, publiée dans le prestigieux Journal of the American Medical Association (JAMA), porte sur 6639 enfants dans quatre régions des États-Unis. « D'habitude, le dépistage du syndrome d'alcoolisation foetale dépend d'un signalement de parents inquiets, ou alors des services de protection de l'enfance qui suivent une toxicomane », dit Christina Chambers, de l'Université de Californie à San Diego, qui est l'auteure principale de l'étude dévoilée la semaine dernière. « Nous avons fait un examen en profondeur de tous les enfants, selon quatre critères : les caractéristiques faciales typiques du syndrome, le niveau de développement physique et neurocomportemental, ainsi que la consommation d'alcool de la mère. » Parmi les enfants, qui étaient en première année, 222 cas du syndrome ont été détectés, mais seulement deux avaient déjà été diagnostiqués.

ESTIMATIONS

Comme les données démographiques ont été limitées pour préserver l'anonymat des enfants, il n'a pas été possible de vérifier si ces enfants étaient représentatifs de leur collectivité ni si les parents d'enfants atteints du syndrome étaient plus susceptibles d'accepter de participer à l'étude. « Nous ignorons s'il y avait une surreprésentation des cas de syndrome parmi les participants, dit Mme Chambers. Nous avons fait différentes analyses statistiques pour tenir compte de cette incertitude. Notre analyse la plus prudente arrive à une fourchette de 11 à 50 cas sur 1000 enfants et l'analyse modérée, à une fourchette de 31 à 99 cas sur 1000 enfants. » Un éditorial dans le JAMA précise que les études sur le sujet concluaient à une prévalence de 10 à 20 cas sur 1000 enfants.

TROIS GROUPES

L'étude de Mme Chambers identifie trois groupes où le syndrome d'alcoolisation foetale pourrait être sous-diagnostiqué : les femmes ayant une dépendance à l'alcool et aux drogues ; les autochtones ; les femmes qui de temps en temps abusent de l'alcool et ignorent qu'elles sont tombées enceintes jusqu'au moment où elles constatent le retard de leurs règles. « Nous n'avons pas assez d'informations pour savoir si notre groupe contenait l'un de ces groupes plus qu'un autre. »

UN SEUIL INDÉFINISSABLE

Ces résultats permettent-ils d'éclairer le débat sur le seuil sécuritaire de consommation d'alcool durant la grossesse ? « Non, malheureusement, dit l'épidémiologiste californienne. La recommandation officielle aux États-Unis est d'éviter l'alcool quand on est enceinte. » Cela signifie-t-il qu'une femme qui a bu de l'alcool entre le moment de la conception et le moment où elle a réalisé qu'elle était enceinte, quatre à six semaines plus tard, devrait envisager un avortement ? « Non, certainement pas. Il n'y a pas de seuil sécuritaire, mais pas de seuil de risque non plus. Il faut en discuter avec son médecin. » Dans un dépliant à l'intention des médecins, le Collège des médecins du Québec indique que « le choix le plus sûr si on est enceinte ou qu'on prévoit le devenir est de s'abstenir de boire » et que « l'alcool présent dans le sang maternel peut nuire au foetus en développement », mais aussi que « le risque découlant d'une faible consommation pendant la grossesse semble très faible, mais [qu']aucune limite n'a donné la preuve définitive de son innocuité ».

GÈNES ET REPAS

La prochaine étape, selon Mme Chambers, est de mieux comprendre les gènes qui influencent le métabolisme de l'alcool chez la mère et le foetus, ainsi que l'interaction entre l'alcool et le cerveau en développement du foetus. « Il y a aussi beaucoup d'études sur l'impact d'une alimentation saine sur le métabolisme de l'alcool, son absorption plus ou moins rapide dans le sang et son élimination, ainsi que l'impact de l'obésité et de la minceur extrême. On doit aussi mieux comprendre comment varie d'individu en individu la consommation simultanée de nourriture et d'alcool. Évidemment, l'alcool consommé par une femme qui boit quatre bières en une soirée de six heures n'a pas le même impact sur le foetus qu'un seul verre siroté pendant la même soirée. »

***

34 ans: Espérance de vie d'une personne atteinte par le syndrome d'alcoolisation foetale

14 %: Proportion des mères qui ont consommé de l'alcool durant leur grossesse de 1993 à 2008 au Canada, contre 26 % au Québec

1,8  milliard: Coût du syndrome d'alcoolisation foetale en 2013 au Canada

Sources : Statistique Canada, SAFERA