Intoxications, violences et agressions sexuelles. Un an après son inauguration, le nouveau centre d'hébergement destiné aux Inuits recevant des soins à Montréal veut revoir son fonctionnement pour « prévenir la multiplication des incidents », indique son administration. Le plus grave des derniers mois : la mort d'une mère de famille qui venait de se voir interdire l'accès à sa chambre parce qu'elle avait bu.

Du stationnement de Dorval où Mamangi Kenuajuak s'est couchée avant d'être mortellement écrasée par un camion, elle pouvait voir le bâtiment tout neuf où elle aurait dû dormir en cette nuit d'octobre.

À 300 mètres de son lit pour la nuit. À 1500 kilomètres de sa vraie maison, dans le village nordique de Puvirnituq.

La mère de famille de 36 ans a été tuée après avoir tenté de regagner son lit à Ullivik, l'établissement public d'hébergement où résident les habitants du Grand Nord québécois soignés à Montréal. Elle s'y était présentée en état d'ébriété : on lui a interdit l'accès à sa chambre, comme le prévoit le règlement, selon l'établissement. On lui aurait plutôt proposé de dégriser dans une salle prévue à cet effet, ou encore dans la salle d'attente de l'établissement.

«Malheureusement, cette personne a refusé les deux options et a quitté», explique Ullivik. Dans un autre courriel, l'établissement ajoute qu'il ne peut contrôler les actions de chacun.

L'explication ne satisfait pas la mère de la victime, Alasua Kenuajuak : elle croit qu'une personne rendue vulnérable par l'alcool devrait être prise en charge, surtout lorsqu'elle est si loin de son domicile. «Ils auraient dû l'emmener dans la salle de dégrisement, même si elle refusait», déplore Mme Kenuajuak, jointe au téléphone à Puvirnituq.

La police de Montréal a confirmé que sa fille était morte après avoir été écrasée par les roues d'un camion dans le stationnement de Pièces d'auto Dorval, très près d'Ullivik.

Le centre d'hébergement et le stationnement sont situés à un jet de pierre de l'aéroport Montréal-Trudeau, dans une zone industrielle et commerciale.

Aucun acte criminel n'a été commis dans ce dossier, a conclu la police. Le Bureau du coroner tentera lui aussi de faire la lumière sur ce dossier.

Violences et intoxications

Ce décès fait partie des données présentées il y a trois semaines par la responsable du centre Ullivik au gouvernement régional du Nunavik, rencontre couverte par l'hebdomadaire régional Nunatsiaq News.

Les tableaux montrent aussi, durant la première année après l'ouverture de l'établissement : 

• 20 cas de violence ;

• 138 cas de comportement problématique ;

• 12 cas de disparition ou de fugue ;

• 2 cas d'agression sexuelle ;

• 1400 cas d'intoxication.

Ullivik, inauguré en décembre 2016 juste à côté de l'aéroport Montréal-Trudeau, accueille chaque année des milliers de patients du Nunavik, le Grand Nord québécois, dans ses 91 chambres. Deux hôpitaux existent au Nunavik, mais les patients qui ont besoin de soins spécialisés sont transportés jusqu'à Montréal. Ils peuvent être accompagnés d'une «escorte», un proche qui les soutiendra : Mamangi Kenuajuak, descendue à Montréal avec son vieil oncle malade, en était une.

Les données recueillies dans la première année de fonctionnement du nouveau centre forcent la réflexion, reconnaissent ses administrateurs.

«À court terme, [les administrateurs du centre] révisent la politique régionale de transport médical, y compris la politique d'escorte, pour prévenir la multiplication des incidents à laquelle Ullivik fait face», a indiqué par courriel Fabien Pernet, adjoint à la directrice générale de la Régie régionale de santé.

Lors de la présentation tenue il y a trois semaines, la directrice du centre, Maggie Putulik, avait affirmé que si le bilan des incidents ne s'améliorait pas, la possibilité pour les patients d'être accompagnés «ne sera [it] plus disponible. C'est aussi simple que ça». Des employés établis à Montréal pourraient être embauchés pour accompagner les malades.

À «moyen-long terme», les autorités de la santé espèrent rapatrier les soins de santé spécialisés dans le Grand Nord.

«Elle n'avait nulle part où aller»

Quant à Mamangi Kenuajuak, elle laisse deux enfants orphelins - son aîné avait été assassiné l'an dernier, à 16 ans. «Nous sommes tristes. Elle nous manque. C'est très dur parfois, quand je pense à elle. J'ai de la douleur dans mon coeur», a affirmé leur grand-mère, Alasua Kenuajuak, mère de la victime. C'est elle qui les a pris en charge.

«Elle ne savait pas où aller. Elle savait qu'elle ne pouvait pas revenir sur ses pas, parce qu'elle n'était pas autorisée, a-t-elle continué. Elle n'avait nulle part où aller.»

Mme Kenujuak a réitéré qu'à son avis, on aurait dû empêcher sa fille intoxiquée de ressortir dans la nuit. Elle parle d'expérience : «Une fois, ils m'y ont mis. C'était après minuit», a-t-elle relaté, décrivant l'expérience positivement.

Mais du côté d'Ullivik, on plaide qu'il est impossible de contrôler chaque résidant du centre. «Les employés d'Ullivik font ce qu'ils peuvent pour empêcher les résidants de quitter. Toutefois, ils n'ont aucun contrôle sur les décisions que prend une personne.»