Jean-Philippe LaRose n'en revient pas d'avoir été aussi « chanceux dans sa malchance ». Sans la présence d'un défibrillateur automatique dans l'école où il jouait au hockey cosom et l'intervention rapide d'un ami qui avait suivi une formation en réanimation cardiorespiratoire (RCR), ce père de famille de 37 ans ne serait fort probablement plus de ce monde.

Dimanche soir, M. LaRose s'est effondré - victime d'un arrêt cardiaque - 15 minutes avant la fin d'une partie entre amis dans le gymnase de l'école secondaire Gérard-Filion à Longueuil. Ce père de trois jeunes enfants est «cardiaque de naissance», mais «tout allait bien» avant cet incident. Son plus récent bilan de santé réalisé par sa cardiologue plus tôt cet automne était «normal».

Un coéquipier et ami de longue date - Éric Berger - s'est empressé de lui faire un massage cardiaque (RCR). Il avait suivi une formation à l'hôpital Charles-Le Moyne où il travaille.

Un autre coéquipier a eu la présence d'esprit de partir à la recherche d'un défibrillateur. Par chance, la commission scolaire Marie-Victorin - qui chapeaute l'école secondaire Gérard-Filion - a doté tous ses établissements de défibrillateurs externes automatisés (DEA) pas plus tard que l'été dernier.

«La décharge du défibrillateur m'a ramené à la vie», résume M. LaRose à qui La Presse a parlé, hier, alors qu'il est toujours hospitalisé à l'Institut de cardiologie de Montréal.

L'ambulance est arrivée quelques minutes plus tard. «Une heure après mon arrêt cardiaque, je me sentais de nouveau à 100%, raconte le père de famille. Je ne réalise pas vraiment que mes enfants auraient pu se retrouver sans père ; ma conjointe, sans mari n'eût été l'intervention rapide de mon ange gardien [M. Berger] et de la présence du défibrillateur.»

Dans la nuit de dimanche à lundi, M. LaRose a même trouvé la force d'écrire un message sur Facebook - devenu viral - pour rappeler l'importance de suivre une formation en RCR. «Tous les lieux publics et toutes les entreprises devraient se doter d'un défibrillateur», a-t-il ajouté en entrevue à La Presse.

À l'heure actuelle, aucune loi au Québec n'oblige l'installation de DEA dans les lieux publics, déplore l'urgentologue montréalais François de Champlain, président fondateur de la fondation Jacques-de Champlain.

Le Dr de Champlain est convaincu qu'une telle loi - le Manitoba en a une - pourrait sauver des vies. Au Manitoba, non seulement les établissements comme les gymnases et les centres commerciaux doivent se doter de DEA, mais ils sont aussi chargés d'enregistrer les appareils dans un registre provincial.

Une mission personnelle

La mission du Dr de Champlain est inspirée par un drame personnel. Son père - dont la fondation porte le nom - est mort d'un arrêt cardiaque en 2009 alors qu'il faisait du vélo avec ses petits-enfants. Il s'est effondré sur une piste cyclable. Le temps que les secours arrivent, il était trop tard. Aucun défibrillateur n'était accessible.

L'ambulance la plus proche était à une vingtaine de minutes des lieux de l'incident. «Un temps de réponse de 25 minutes, c'est beaucoup trop long. C'est impossible de survivre s'il n'y a pas un défibrillateur à proximité», explique l'urgentologue.

Au-delà de son histoire personnelle, le médecin dit avoir été témoin de nombreuses tragédies similaires qui ont touché des patients de toutes les tranches d'âge dans le cadre de son travail d'urgentologue.

Les chances de survie diminuent de 7 à 10% par minute après un arrêt cardiorespiratoire. L'utilisation précoce de DEA double les chances de survie, fait valoir le Dr de Champlain.

Le Dr de Champlain a lu l'histoire de M. LaRose sur les réseaux sociaux : «Il l'a bien dit : il a été chanceux. Il était au bon endroit au bon moment.»

Dans trop de cas, décrit le médecin, les gens témoins d'un tel incident ont peur d'intervenir; ils craignent de ne pas avoir la formation suffisante ou encore de «faire du tort» à la personne en utilisant le défibrillateur.

«Vous n'avez pas besoin de formation pour sauver une vie», explique l'urgentologue. Le défibrillateur est très facile d'utilisation et il ne peut pas causer de tort à la personne en arrêt cardiorespiratoire, soutient le Dr de Champlain.

«C'est la machine qui décide si c'est indiqué de donner une décharge ou pas», poursuit le médecin.

Analogie avec un extincteur de fumée

Une étude américaine a d'ailleurs démontré que des enfants de sixième année, sans formation préalable, avait été à peine plus lents à donner la première décharge  - environ 30 secondes - que des «paramedics» formés à faire fonctionner le DEA, et ce, juste en écoutant les instructions vocales de la machine.

Le médecin fait une analogie avec un extincteur : «Ça ne prend pas un pompier pour faire fonctionner un extincteur. De la même façon que ça ne prend pas un médecin, un ambulancier ou un infirmier pour faire fonctionner le défibrillateur.»

Il ne faut pas hésiter à utiliser un DEA même dans une grande ville comme Montréal où une ambulance arrive plus vite qu'en région éloignée - le temps de réponse systémique aux appels de priorité 0 et 1 (arrêts cardiaques) est de 7,41 minutes dans la métropole (source : rapport annuel 2016-2017 d'Urgences-santé), souligne Dr de Champlain.

Des dommages irréversibles au cerveau commencent à compter de cinq minutes seulement après un arrêt cardiaque, fait valoir le médecin. «Malheureusement, si le citoyen témoin de l'incident ne fait rien avant l'arrivée de l'ambulance, le dénouement est rarement celui qui est souhaité», ajoute l'urgentologue.

En l'absence d'une loi comme celle du Manitoba, la Fondation Jacques-de Champlain a pris l'initiative de mettre en place un registre provincial sur l'emplacement des DEA lié à une application mobile gratuite appelée DEA-Québec. Cette application pour les téléphones intelligents permet de localiser l'appareil DEA le plus près de l'incident. À l'heure actuelle, 1246 appareils DEA sont enregistrés au Québec dont 380 dans la région de Montréal.

Au Canada, près de 45 000 personnes subissent un ACR chaque année. Pas moins de 85% de ces ACR surviennent à l'extérieur des hôpitaux, soit à la maison ou dans un endroit public. Un DEA coûte environ 1500 $ l'unité.

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PEU DE QUÉBÉCOIS FORMÉS AU RCR

Seulement 10% de la population québécoise a suivi une formation en réanimation cardiorespiratoire, selon la Fondation Jacques-de Champlain. Or, le simple fait de pratiquer la RCR triple les chances de survie, indique le président fondateur de la Fondation, le Dr François de Champlain.

Le programme Héros en 30 de la Fondation des maladies du coeur et de l'AVC offre un cours de réanimation très court d'une durée de 30 minutes, souligne-t-il. Même sans un cours, il n'y a pas de raison de ne pas faire de manoeuvres de réanimation, plaide l'urgentologue, puisque la ventilation «bouche à bouche» - qui en répugnait plusieurs - n'est plus nécessaire.

Des études scientifiques ont démontré que la RCR avec compressions thoraciques seules est aussi efficace que de faire la réanimation incluant le «bouche-à-bouche», explique le Dr de Champlain.