Les syndicats du secteur public doivent changer; ils ne peuvent plus recourir à des moyens de pression lourds qui dérangent trop la population.

Cette idée, c'est une dirigeante syndicale qui la défend: Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), qui représente maintenant 75 000 membres, dont la grande majorité des infirmières et infirmières auaexiliaires du Québec.

Dans une longue entrevue à La Presse canadienne, alors qu'elle quittera définitivement la présidence de la FIQ le 1er décembre, Mme Laurent s'est livrée à une réflexion sur le syndicalisme, les négociations dans le secteur public et les problèmes du réseau de la santé.

«J'ai vécu les deux grèves, en 1989 et 1999. Et les deux dernières négociations, dans ma tête il y a quelque chose qui était clair - je ne l'ai jamais dit publiquement, mais pour moi, c'était clair qu'il fallait trouver tous les moyens, sauf la grève», admet-elle.

«Dans la société, en ce moment, il y a beaucoup de cynisme envers tout ce qui est institution. Et il y a un cynisme, un cran de plus, quand il s'agit d'une organisation syndicale. Quand on regarde ce que vivent nos membres et leurs familles et l'ensemble de la population... Les gens travaillent plus; ils arrivent plus difficilement; ils passent une heure et demie dans l'auto le matin et deux heures l'après-midi. Alors, on ne peut pas faire des actions qui vont déranger cette population-là», opine-t-elle.

Mme Laurent ne va pas jusqu'à dire que la grève est un moyen de pression dépassé, mais «je suis convaincue qu'il faut tout faire et ne pas arriver là».

Alors qu'elle s'apprête à quitter, elle s'adresse aux autres syndicats du secteur public: «bien humblement, je les inviterais à peut-être plus d'imagination. Moi, je pense qu'on ne peut pas rester sur ce qui a déjà été fait en termes de moyens d'action et de moyens de pression. Oui, ça a donné des choses dans le passé, et pour nous les premières. Mais aujourd'hui, on ne peut pas rester sur un automatisme de moyens de pression.»

Elle croit que les membres de la FIQ ont su être «ratoureuses» dans leurs moyens de pression, lors des deux dernières négociations, en «embêtant les élus», par exemple.

De plus, la FIQ a toujours su faire comprendre aux citoyens le lien entre ses revendications et la qualité des soins qu'ils reçoivent ou pas: ratio infirmière-patients, infirmières qui se font imposer des heures supplémentaires, etc.

La FIQ jouit d'une sympathie populaire qui est rare pour une organisation syndicale. Mme Laurent l'explique par le fait qu'«au cours de l'histoire, les moyens d'action qu'on a faits ont tenu compte de ce qui se passait dans la société, de ce qu'on pensait être acceptable ou moins acceptable».

«Ce qu'on a pu faire, à une certaine époque, des manifestations ou des blocages - j'ai eu énormément de plaisir à le faire. Mais je pense qu'on a su s'adapter dans nos moyens d'action. Et comme on n'a pas dérangé la population, ça a permis de garder cette cote d'amour particulière», interprète-t-elle.

Front commun

La FIQ a souvent fait bande à part lors des négociations des secteurs public et parapublic. Elle ne faisait pas partie du front commun intersyndical lors de la dernière négociation et Mme Laurent serait surprise que les membres de la FIQ en décident autrement pour la prochaine.

Elle serait toutefois prête à envisager un «front commun santé» avec l'APTS, l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, si cette dernière organisation le désirait. L'APTS, qui est l'autre grande gagnante du dernier vote d'allégeance syndicale dans la santé, a maintenant 52 000 membres, dans les laboratoires, l'imagerie médicale, les services psychosociaux, la réadaptation.

«Ça, c'est possible effectivement. C'est possible et on a plusieurs points communs. On est dans la santé et les membres de l'APTS ont subi aussi les coupures. Je ne pense pas que les physiothérapeutes ont plus de temps avec leurs patients. Il y a une lutte pour des soins à l'échelle humaine et elles aussi sont concernées par ça», estime Mme Laurent.

Aussi à changer

Mme Laurent estime qu'une autre culture doit changer: celle du ministère de la Santé. «Il y a des choses qui sont du gros bon sens; ma voisine le comprendrait. Et on est là à en discuter pendant des mois!»

Elle cite l'exemple de la création de postes à temps complet chez les infirmières, alors qu'elles font tant d'heures supplémentaires, parfois même contre leur gré. Le ministre Gaétan Barrette a donné la consigne aux établissements de créer davantage de postes à temps complet, mais cela tarde à se concrétiser, déplore Mme Laurent.

Autre exemple: la lourdeur de la négociation du secteur public. «Pourquoi est-ce que des négociations, ça doit prendre un an et demi ? Pourquoi on ne s'organise pas pour être capable d'avoir des lieux où on règle des problèmes au fur et à mesure ?» demande Mme Laurent.

Elle a beau avoir la sympathie du public et une crédibilité certaine, Mme Laurent n'en profitera pas pour se lancer en politique après son départ de la FIQ. «Non. Je ne laisserai pas "une job à plus que du temps complet" pour aller en faire une autre. Non.»